Les enseignants du secondaire s’identifient-ils comme étant des experts de leur matière ou comme étant des experts en pédagogie? Autrement dit, est-ce que l’enseignant d’histoire est d’abord un historien ou un pédagogue? Et l’enseignant de français, d’abord linguiste, grammairien ou pédagogue? Je pars du postulat que ce sont d’abord des experts en pédagogie.
Voici où je veux en venir : si vous vous identifiez d’abord comme étant un historien, chimiste, mathématicien, géographe ou dramaturge, il y a de bonnes chances que vous vous sentiez bien seul. Personne ne comprendra votre réalité. Oui, c’est une vie remplie de défis que de mener à terme sa mission de grammairien au secondaire et peu de vos collègues sont qualifiés en ce sens. Ainsi, par exemple, si votre plus grand défi professionnel est d’enseigner l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir, qui peut vous conseiller? Quel collègue peut vous donner son avis? Un autre grammairien! Or, il y en a peu. Que faire? Et qu’en est-il des mathématiciens qui enseignent l’hypoténuse? Et des historiens qui doivent enseigner le mode de vie des peuples autochtones avant l’arrivée des Européens ou des débats historiographiques sur les conséquences de la conquête? Seuls des mathématiciens ou des historiens peuvent-ils réellement vous inspirer?
Non!
Tous collègues de pédagogie, même si pas nécessairement de matière
Nous sommes d’abord des pédagogues. Des experts de l’enseignement au service de l’apprentissage. N’importe quel pédagogue peut en inspirer un autre et il peut l’accompagner. Il ne suffit pas d’enseigner la même matière ou d’être titulaire de la même spécialisation pour pouvoir formuler des commentaires pertinents sur diverses stratégies d’enseignement dans une matière autre que la « sienne ». Bien au contraire, un pédagogue qui échappe à la culture disciplinaire de votre matière peut vous aider. L’enseignant d’arts plastiques pourrait avoir des bonnes idées à vous fournir pour la l’évaluation de votre laboratoire de physique. Celui qui enseigne la physique pourrait, à son tour, formuler des recommandations intéressantes à l’enseignant d’éducation physique qui fait face au défi constant de toujours maximiser le temps d’engagement moteur de ses élèves. L’enseignant d’éducation physique pourrait aussi certainement contribuer aux stratégies de gestion de classe de l’enseignant d’anglais. La chaîne peut se poursuivre.
S’inspirer des plus jeunes…
En ce sens, j’ajouterais même deux autres exemples que je qualifierais d’intergénérationnels et d’« interordre » d’enseignement.
Dans un premier temps, les stagiaires en enseignement ou les nouveaux enseignants qui sortent de l’université peuvent nous inspirer. Ce n’est pas parce que nous sommes dans la profession depuis un vénérable moment que nous avons toutes les réponses à tous les défis que le quotidien pose dans notre pratique. Comment travailler ensemble pour résoudre des problématiques complexes avec de jeunes enseignants qui n’étaient pas nés lorsque nous avons débuté notre carrière en enseignement? Tout simplement en les considérant comme détenteurs d’une expertise au même titre que soi et en les mettant à contribution. Par exemple :
- J’ai une dynamique particulière dans mon groupe d’éthique de 4e secondaire et j’ai de la difficulté à aborder les questions existentielles avec mes élèves qui ne prennent pas cela au sérieux. As-tu une idée, toi?
- Je réalise qu’en enseignant la stœchiométrie de la façon dont je l’ai toujours fait ne porte pas ses fruits avec ce groupe-ci. Penses-tu à d’autres stratégies que tu envisagerais?
- J’ai envie de passer moins de temps à parler et je souhaite créer des activités engageantes pour la compréhension de lecture sur le livre « L’Étranger » de Camus. As-tu des propositions pour placer les élèves en actions en ce sens?
Une ouverture intergénérationnelle permet d’aller chercher le meilleur en considérant l’apport de tous les enseignants, incluant les plus jeunes. Ils manquent très certainement d’expérience, mais si nous les plaçons toujours à l’écart le temps qu’ils prennent de l’expérience, combien de temps leur apport potentiel à notre établissement scolaire demeurera-t-il latent? À partir de combien d’années d’expérience les jeunes enseignants peuvent-ils contribuer et exercer un rôle de leader? Pouvons-nous vraiment nous passer d’un nouvel apport et d’une nouvelle tête?
… et même des autres ordres!
Personnellement, j’ai déjà vécu une expérience extrêmement révélatrice. Dans une école combinant le primaire et le secondaire, des enseignants se lançaient des invitations de venir s’assoir dans leurs classes pendant leurs périodes libres. La visite était suivie d’une jasette et du partage d’observations. Cela dit, croyez-le ou non, une enseignante de maternelle a été invitée dans une classe de mathématique de quatrième secondaire. Oui, vous avez bien lu! Quelle contribution une enseignante de maternelle peut-elle offrir à une enseignante de mathématique? Dans les faits, si on se fie aux contenus disciplinaires, la contribution serait certainement mince. Or, en termes de gestion de la classe, d’organisation du temps et de stratégies pour placer les jeunes en action, cela fut plus que pertinent! Comme le répète souvent Ron Canuel, la maternelle, c’est la classe du 21e siècle (lire ici et ici) et elle a grandement avantage à être explorée, et le modèle, partagé.
Mettre l’accent sur ce qui nous unit pour ne plus se sentir seul
Ce qui me semble important de communiquer à travers ces quelques lignes est qu’il est gagnant de mettre l’accent sur ce qui nous unit plutôt que sur ce qui nous divise. Nous nous questionnons souvent pour trouver ce qui nous différencie de nos collègues. Cela peut être rassurant : « ce qui marche dans son cours de géographie ne s’applique pas dans mon cours de français » ou encore « oui, c’est facile au primaire, mais moi, au secondaire… ». Dans les faits, nos conditions d’exercice détonnent probablement, mais pourquoi ne pas essayer de trouver les éléments qui non seulement nous ressemblent vu notre contexte, mais aussi, qui nous rassemblent? Par la suite, il sera plus facile de colliger les expériences à succès et de faire en sorte qu’ils se reproduisent dans nos classes.
Dans le fond, les défis auxquels nous sommes présentement confrontés dans le monde scolaire dépassent largement notre matière…