Par Sandra Coulombe, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC); Michelle Deschenes, Université du Québec à Rimouski (UQAR), et Nadia Cody, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Le développement de la relève en formation professionnelle au Québec est différent de celui des enseignants qui œuvrent dans les autres secteurs d’éducation. Car ceux et celles qui forment les futurs électriciens, soudeurs ou esthéticiennes ont pratiqué leurs métiers d’abord, avant de l’enseigner par la suite.
Ces individus, en moyenne âgés de 45 ans à leur début de carrière, ont déjà une expérience professionnelle solide et des compétences techniques développées. Leur profil de formation est diversifié, combinant des diplômes variés et des connaissances acquises sur le terrain.
La plupart amorcent un des cinq baccalauréats en enseignement professionnel à temps partiel, une fois en emploi dans un CFP. Pour plusieurs, il s’agit d’un virage extrême entre le métier et son enseignement. De surcroît, cette formation peut s’étaler sur environ 10 ans.
Les cours universitaires sont pertinents pour soutenir les nouveaux enseignants. Toutefois, leurs besoins et les défis en début de carrière exigent aussi l’appui des équipes des centres de formation professionnelle.
Ces défis concernent notamment la gestion de l’hétérogénéité des élèves, la compréhension des rôles de l’enseignant et plus largement le développement des compétences professionnelles propres à la profession.
Pour relever ces défis, les centres de formation professionnelle mettent en place divers soutiens : sessions d’accueil mentorat, périodes d’observations avec rétroaction ou échanges entre pairs, communautés de pratiques et d’apprentissage professionnelles, groupes de codéveloppement professionnel, etc.
Une mise en œuvre difficile
La mise en œuvre de ces dispositifs collaboratifs reste complexe, même s’ils sont identifiés comme des leviers importants de développement professionnel. Elle comporte des contraintes contextuelles, des objectifs communs à fixer, des relations de confiance à établir entre les personnes accompagnatrices et celles accompagnées, ainsi que du temps à y consacrer.
Notre équipe de recherche, composée de quatre conseillères pédagogiques en formation professionnelle, de six chercheuses provenant de trois universités québécoises et de deux assistantes de recherche, a identifié des pistes d’action pour faciliter la mise sur pied de groupes de codéveloppement professionnel et ainsi soutenir les novices.
Dans le cadre d’une recherche participative, nous avons tout d’abord demandé à des accompagnateurs et accompagnatrices en formation professionnelle, idéalement de provenances diverses, de se joindre à l’équipe de recherche. Les personnes acceptant d’être cochercheuses devaient elles-mêmes mettre en place un groupe de développement professionnel dans leur milieu.
Ce réseautage entre les conseillères pédagogiques et les chercheuses a soutenu la mise en place de ces groupes dans les milieux, tout en faisant émerger des besoins, des apports et des pistes d’actions.
Evelyne Charlier et Sandrine Biémar, chercheuses-formatrices des départements d’éducation des universités de Namur, en Belgique, et de Sherbrooke, décrivent l’accompagnement comme « se tenir à côté de, pour suivre et devancer le pas de l’autre ».
Selon Claudia Gagnon, chercheuse à l’Observatoire de la formation professionnelle du Québec et professeure à l’Université de Sherbrooke, l’accompagnement s’articule autour de cinq dimensions, soit le contexte, la visée, la relation, la démarche et le temps.
Pistes d’action pour favoriser l’accompagnement
Des enjeux ont été relevés autour de ces cinq dimensions lors de rencontres entre conseillères pédagogiques et chercheuses. Ils mènent à cinq pistes d’action pour soutenir la mise en œuvre de groupes de codéveloppement professionnel :
1) Prendre en compte le contexte : chaque centre de formation professionnelle et chaque secteur de formation possèdent ses particularités. La soudure n’est pas la coiffure. Il faut adapter les pratiques collaboratives aux spécificités organisationnelles, sociales et culturelles.
À titre d’exemple, cibler un groupe homogène peut, dans certains cas, avoir un effet rassurant. Ou encore, le contexte peut exiger de faire approuver les dispositifs par la direction ou orienter les propos sur des thématiques professionnelles et non personnelles. Certes, connaître les personnes accompagnées et respecter leurs besoins, tenir compte des relations de travail, des normes éthiques, des enjeux de libération et des aspects syndicaux s’avère déterminant.
2) Clarifier la visée commune : définir les objectifs de l’accompagnement dès le départ permet de rester aligné tout au long du processus et d’enrichir les discussions, qui doivent nourrir les membres du groupe.
Un retour sur les rencontres apparaît essentiel afin de vérifier les changements apportés dans la pratique, surtout s’ils ont produit les effets attendus. De plus, il importe que la participation aux rencontres de partage soit faite de façon volontaire. Cela accroît la chance de créer les retombées escomptées.
3) Renforcer la relation : instaurer un climat de confiance entre personnes accompagnées et accompagnatrices passe par des activités de réseautage, des discussions informelles et des activités brise-glace. La relation, au cœur de l’accompagnement, s’appuie notamment sur l’identification et la compréhension des besoins individuels partagés lors des rencontres.
4) Structurer la démarche : une démarche bien encadrée, à la fois rigoureuse, flexible et réfléchie en fonction des contextes, avec des étapes clairement définies, permet de guider les personnes accompagnées.
Les personnes accompagnatrices doivent maîtriser les étapes du processus de codéveloppement, sa conception et la gestion des équipes. Elles ont besoin de bien maîtriser la démarche pour assurer un accompagnement optimal des personnes participantes.
5) Planifier judicieusement son temps : allouer suffisamment de temps pour comprendre et s’approprier la démarche est primordial, tant pour les personnes accompagnatrices que pour la nouvelle génération d’enseignants.
Le temps constitue un enjeu de taille lorsque viennent les moments de mettre en œuvre le dispositif de coformation, de coordonner les disponibilités de tout un chacun et d’encadrer la durée des étapes de la démarche. Il importe donc d’adapter la longueur et la fréquence des rencontres en fonction des réalités et des contextes.
Enfin, un accompagnement personnalisé, structuré et contextualisé engendre une meilleure compréhension du travail enseignant en formation professionnelle.
Par un partage des pratiques, des opinions et des valeurs, la participation aux activités de coformation contribue au développement professionnel et identitaire du personnel enseignant.
Dans le but de soutenir un processus d’insertion professionnelle atypique et parsemé d’embûches, chaque initiative de formation par les milieux peut avoir des retombées majeures sur les équipes enseignantes.
Par Sandra Coulombe, Professeur, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC); Michelle Deschenes, Professeure en psychopédagogie de l’enseignement professionnel, Université du Québec à Rimouski (UQAR), et Nadia Cody, Professeur en formation pratique à l’enseignement, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.