La vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, vient de rendre public son tome de mai 2023 du Rapport du Vérificateur général du Québec. L’un des chapitres concerne le recrutement, la rétention et la qualité de l’enseignement dans les écoles de la province. Les travaux réalisés concluent que, « malgré les signaux annonciateurs de la pénurie, le ministère de l’Éducation (MEQ) ne s’est pas assuré de disposer de données complètes et à jour » pour y faire face. D’ailleurs, encore aujourd’hui, les causes et les enjeux reliés à la pénurie sont mal connus. Voyons de plus près le contenu du rapport.
Les travaux menés par le Vérificateur général (VG) du Québec avaient pour objectif de « déterminer si le MEQ et les CSS audités s’assurent d’avoir le personnel enseignant adéquat afin, notamment, de favoriser la réussite scolaire des élèves inscrits à la formation générale des jeunes ». Ils concernaient uniquement les établissements de la formation générale des jeunes du secteur public et ont été conduits du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022. En plus du MEQ, les CSS Marie-Victorin, des Navigateurs, des Phares et la Commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier ont été auditées.
Les travaux avaient débuté avant la pandémie, car la situation était déjà préoccupante. « En 2004, le Conseil supérieur de l’éducation se disait préoccupé par une possible pénurie
d’enseignants et mentionnait que la question du recrutement devait constituer une priorité en raison de son impact sur la qualité des services éducatifs offerts aux élèves. En 2009, une analyse produite par le MEQ a également soulevé l’enjeu du manque d’enseignants qualifiés », lit-on dans le rapport.
Au cours de l’année scolaire 2020-2021, le VG a observé que plus du quart des enseignants en poste étaient non légalement qualifiés, soit plus de 30 000 personnes. Il s’agissait principalement de suppléants, qui ont travaillé l’équivalent de 8,3 % des jours totaux travaillés par l’ensemble du personnel enseignant.
La difficulté à recruter, qui contraint les centres de services scolaires (CSS) à embaucher de plus en plus de personnes non légalement qualifiées pour enseigner, est bien réelle. La situation n’aurait d’ailleurs pas changé depuis 2020-2021 : « Durant la rentrée scolaire 2022-2023, plusieurs postes d’enseignants à temps plein et à temps partiel sont restés vacants ». Immanquablement, cela « nuit à la qualité de l’enseignement au primaire et au secondaire », conclut le VG.
Source : rapport du VG
Note : Parmi les 3 778 détenteurs d’une tolérance d’engagement, les trois quarts détenaient un baccalauréat ou une maîtrise dans une discipline autre que l’enseignement. Quant aux 26 743 enseignants sans autorisation, le MEQ ne dispose d’aucune information sur leur profil scolaire.
Situation prévisible, données manquantes
Dans son rapport, le VG conclut qu’« alors que cette situation était prévisible, le MEQ et les CSS n’ont toujours pas une information complète et fiable sur ses causes ni sur les enjeux qui y sont liés ». ll est précisé que « bien que le MEQ questionne fréquemment les CSS pour tenter d’obtenir un portrait de la situation, celui-ci est incomplet, notamment parce que certains CSS ne répondent pas aux demandes du MEQ ».
De plus, il semble que les mécanismes de suivi de la qualité de l’enseignement sont complexes à implémenter. À ce sujet, les directions d’école rencontrées « disent ne pas avoir le temps suffisant pour la supervision pédagogique et l’évaluation des enseignants », leurs tâches administratives ne leur laissant pas suffisamment de temps pour ce faire.
Finalement, on note la nécessité de se doter d’un plan d’action global et concerté et de mesures efficaces, avec une vision globale et un suivi des résultats.
Les constats en bref
- L’information détenue par le MEQ et les CSS audités ne permet pas de bien cerner les causes de la pénurie et de connaître l’ampleur des enjeux de recrutement et de rétention d’enseignants qualifiés.
- Les actions des CSS audités et l’encadrement du MEQ visant à suivre et à assurer la qualité de l’enseignement devront être améliorées.
- Il faudra rapidement un plan d’action global mobilisant les acteurs du milieu de l’éducation pour mettre en place des mesures efficaces pour contrer la pénurie d’enseignants qualifiés.
Conséquences sur les élèves
La diminution de la qualité de l’enseignement est l’une des principales répercussions de la pénurie qui ont été identifiées par les nombreux acteurs de l’éducation que le VG a rencontré (plus d’une centaine d’acteurs du milieu et 44 directions d’écoles des CSS audités). « Ces problèmes sont d’autant plus inquiétants qu’ils s’ajoutent aux retards d’apprentissage que le Vérificateur général a soulevés dans son rapport d’audit Enseignement à distance durant la pandémie de COVID-19 publié en décembre 2022 ».
Source : rapport du VG
Supervision pédagogique, évaluation, insertion professionnelle et formation continue
Parmi les mécanismes identifiés pour assurer un suivi de la qualité de l’enseignement (même en période de pénurie), on retrouve la supervision pédagogique, l’évaluation, l’insertion professionnelle et la formation continue. Les travaux ont montré la nécessité d’en faire plus à ce sujet dans les CSS audités.
À titre d’exemple, mentionnons que, « pour l’année 2020-2021, si on ne considère que les 72 696 enseignants à temps plein (60 723) et à temps partiel (11 973), les 39 000 jours de formation payés représentent en moyenne seulement 0,5 jour par enseignant ».
Le VG rappelle l’obligation du MEQ d’assurer la qualité de l’enseignement pour tous les élèves du Québec. « La Loi sur l’instruction publique précise que le ministre veille à la qualité des services éducatifs dispensés par les CSS ». De son côté, le MEQ a répondu au VG qu’ils « n’a pas mis en place de mécanisme de suivi de la formation continue de chacun des enseignants, parce que cette responsabilité est dévolue, en vertu de la LIP [Loi sur l’instruction publique], aux directions d’établissement ».
La nécessité d’un plan concerté
Selon le VG, « il est important d’adopter rapidement un plan d’action global contenant des actions efficaces afin de redresser la situation ». Face à la complexité de la situation, la participation des acteurs du milieu de l’éducation, tels que le MEQ, les CSS, le ministère de l’Enseignement supérieur, les établissements universitaires, les
syndicats, les directions d’école et les enseignants, sera nécessaire à l’élaboration de ce plan d’action qui devrait permettre de mieux cerner les enjeux et d’identifier les meilleures solutions.
Pour le moment, les initiatives mises en place localement semblent réparties « dans plusieurs documents » et incomplètes. Selon le VG, elles devraient mieux préciser les responsables des actions, les résultats attendus et les échéances.
Recommandations au ministère de l’Éducation du Québec
- Disposer d’une information complète et fiable sur les besoins du réseau en termes d’enseignants qualifiés ainsi que sur les enjeux liés à la pénurie.
- Encadrer adéquatement le suivi de la qualité de l’enseignement et l’accompagnement des enseignants.
- Mettre en oeuvre, de concert avec l’ensemble des acteurs concernés, un plan d’action complet et cohérent pour faire face à la pénurie d’enseignants qualifiés.
Recommandations à la commission scolaire et aux centres de services scolaires audités
- Disposer d’une information complète et fiable sur leurs besoins en termes d’enseignants qualifiés ainsi que sur les enjeux liés à la pénurie.
- Assurer le suivi de la qualité de l’enseignement et l’accompagnement des enseignants.
- Mettre en oeuvre un plan d’action complet pour faire face à la pénurie d’enseignants qualifiés et s’assurer de sa cohérence avec celui du ministère de l’Éducation du Québec.
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En complément :
- En 2020-2021, le réseau scolaire public québécois comptait, à la formation générale des jeunes, 111 000 enseignants (à temps plein, à temps partiel, suppléants ou à la leçon) pour 972 000 élèves. Ces enseignants étaient répartis dans les 72 centres de services scolaires (CSS) ou commissions scolaires (CS) du réseau : 60 francophones, 9 anglophones et 3 à statut particulier.
- La Loi sur l’instruction publique prévoit que, pour enseigner au Québec, une personne doit détenir une autorisation d’enseigner délivrée par le ministre de l’Éducation. Il s’agit généralement d’un brevet d’enseignement obtenu à la suite d’un baccalauréat de quatre ans ou d’une maîtrise qualifiante. Sous certaines conditions, un permis probatoire ou une autorisation provisoire d’enseigner peuvent également être accordés.
- La loi prévoit aussi qu’exceptionnellement, le ministre de l’Éducation peut autoriser un CSS à engager une personne qui n’est pas titulaire d’une autorisation d’enseigner, notamment en délivrant une tolérance d’engagement. Celle-ci permet d’embaucher des candidats n’ayant pas de formation en enseignement lorsque aucun personnel qualifié n’est disponible.