Les histoires d’intimidation touchent des cordes sensibles chez plusieurs. Il est tout de même désolant qu’une loi ait été nécessaire pour obliger les milieux scolaires québécois à garantir la sécurité des élèves dans leur propre école. Et si on allait plus loin en élevant le savoir-vivre au rang des savoirs essentiels?
J’ai été touché récemment par le clip du jeune garçon australien de neuf ans atteint de nanisme, Quaden Bayles, qu’on voit en forte réaction, excédé par l’intimidation que ses camarades de classe lui font subir. C’est rare que je sois ému par un clip qui circule de façon virale sur les réseaux sociaux, mais cette fois-ci, cela a touché une corde sensible.
Octobre 1984. C’est la date où tout a changé pour moi. Pour certains, c’est la date où j’ai commencé à m’endurcir, mais c’est aussi la date où j’ai appris que les gens, peu importe leur âge, peuvent être vraiment méchants.
J’ignorais que ma vie allait changer
J’avais neuf ans depuis à peine deux mois. Mon père travaillait pour le gouvernement et était directeur de parcs provinciaux. Son emploi l’obligeait à voyager partout au Québec et nous sommes finalement déménagés dans la région montréalaise lorsqu’il a eu une promotion.
Octobre 1984. J’ai dû changer d’école alors que l’année était bien entamée, puisque nous déménagions. J’ignorais que ma vie allait changer. À cette nouvelle école, les enfants habitant le quartier étaient dans la même classe depuis la maternelle. Leur cercle était fermé et il n’y avait pas de place pour un petit nouveau. Dans cette école, du moins au sein de ce groupe, les nouveaux faisaient systématiquement l’objet d’intimidation. Moi qui n’avais jamais été victime d’une quelconque méchanceté, je m’apprêtais à y goûter.
Très rapidement, je me fis surnommer « le con ». Aux récréations, je me faisais taper dessus. J’étais systématiquement le dernier choisi dans les équipes pendant le cours d’éducation physique ou pendant les activités du midi. Pourtant, j’étais bon, athlétique et rapide. J’étais l’un des seul à pouvoir envoyer le ballon de l’autre côté de la clôture au « kickball ». Ce qui jouait contre moi, c’était que j’étais le dernier arrivé.
Je marchais environ 800 mètres pour aller à l’école. Au retour à la maison, je me faisais pourchasser dans les rues jusqu’à la brigadière. En plus, il fallait que je marche devant la maison du gars le plus cool de l’école qui était, bien entendu, l’intimidateur en chef. Alexandre. Chaque fois, il courait après moi pour se battre ou me lancer des marrons durcit avec ses amis. Je me protégeais, mais je ne me défendais pas. Je n’avais jamais été confronté à la violence de toute ma vie, je ne savais pas comment réagir. Je suis parfois arrivé à la maison avec des bleus, que je cachais évidemment à mes parents.
J’avais toujours été premier de classe, mais désormais, mes notes diminuaient drastiquement. Je me souviens avoir eu 44 % au bulletin en mathématique. L’enseignante a dit à mes parents que j’avais des problèmes et que je devais être suivi en orthopédagogie. Mon père, excédé, a répondu sans trop de retenue : « je pense que c’est vous qui avez un problème »! En effet, l’enseignante était chaque jour témoin des gestes intimidateurs, mais elle n’intervenait pas.
Un soir, j’ai explosé.
Un soir, au retour de l’école, j’ai explosé. Mon père m’a demandé pourquoi je tolérais la violence qui m’était imposée. Je lui ai répété qu’il m’avait enseigné de ne pas me battre et de trouver des solutions pacifiques aux conflits. Cette fois, il m’a expliqué que cet enseignement avait ses limites et que je devais me défendre quand on m’attaquait.
La situation a changé le lendemain quand j’ai pris mon courage à deux mains et que je me suis défendu lorsque Alexandre s’en est pris à moi pour une énième fois. Je lui ai donné une correction devant tous ses amis. Devoir se présenter à l’école avec un œil amoché aura eu l’effet de le calmer et de lui offrir une leçon d’humilité. Malheureusement, la violence a été la solution à mes problèmes et m’a permis de me faire respecter au sein du groupe. Triste.
La violence a été la solution à mes problèmes. Triste.
J’ai commencé à me faire des amis, j’étais choisi parmi les premiers dans les équipes et mes notes ont commencé à augmenter. La violence et l’intimidation ont laissé place à l’intégration. Je m’habillais comme eux, j’allais aux mêmes fêtes qu’eux et j’étais enfin « normal ». Pourtant, avant cela, la seule chose qui me distinguait était que j’étais le nouveau!
Malheureusement, la situation s’est améliorée non seulement parce que j’ai utilisé la violence pour vaincre celle qui m’était imposée, mais aussi parce qu’un autre « nouveau » s’est joint au groupe. Le problème s’est donc déplacé vers un autre jeune de neuf ans. Triste.
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Savoirs, savoir-être, savoir-faire… et savoir-vivre!
Aujourd’hui, je travaille en éducation depuis vingt ans. Je suis très sensible à ces situations. L’histoire de Quaden Bayles me touche, peu importe son âge véritable et le débat sur le fond de l’histoire. Celle de la jeune Marjorie Raymond m’avait ému également et c’est à partir de cet instant tragique que le politique s’est ingéré dans les écoles pour, éventuellement, adopter une loi pour prévenir et combattre l’intimidation et la violence à l’école. Je salue l’initiative, certes, mais je trouve désolant que nous ayons besoin d’une loi pour agir concrètement et garantir la sécurité de nos élèves dans leur propre école.
L’école doit être un nid bienveillant, un endroit où les jeunes se développent avec l’accompagnement d’adultes à la fois dévoués et compétents et, tout aussi important, où ils socialisent avec leurs compagnons. Aujourd’hui, même si nos jeunes du primaire et du secondaire semblent plus respectueux envers leurs camarades que nous l’étions à leur âge, il n’en demeure pas moins que nous devons toujours être vigilants face à la violence et à l’intimidation qui, désormais, se transposent de façon plus insidieuse grâce aux médias sociaux.
L’école est un milieu de services pour nos jeunes et même, dans une certaine mesure, leurs parents. Il est de plus en plus question d’aider les élèves intimidateurs. C’est une bonne chose, en plus de l’aide traditionnellement offerte aux élèves victimes de violence. Au-delà, ce qui m’importe, c’est d’éduquer nos jeunes à l’ouverture, à la tolérance et à l’acceptation des réalités qu’ils ne sont pas toujours en mesure de bien comprendre. Il m’apparaît essentiel que les jeunes puissent non seulement développer des compétences disciplinaires, mais surtout, des compétences humaines, celles qui feront d’eux des êtres d’exception, de véritables leaders dans leur communauté. Les savoirs, le savoir-être et le savoir-faire sont importants, mais de plus en plus, le « savoir-vivre » doit aussi faire partie de l’« équation éducative ».