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Lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale de la France à propos de l’interdiction des téléphones

Sur la question de l'interdiction des téléphones à l'école imposée par la France, voici des suggestions et des exemples de réussite de leur intégration. 

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Sur la question de l’interdiction des téléphones à l’école imposée par la France, voici des suggestions et des exemples de réussite de leur intégration. 

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par Marc-André Girard (@magirard)
Directeur du secondaire au Collège Beaubois
Doctorant en administration de l’éducation
Conférencier et auteur du livre : « Le changement en milieu scolaire québécois »

Monsieur le ministre de l’Éducation nationale,

Je prends la peine de vous écrire, car, lors d’un récent séjour en France, j’ai découvert votre pays et son système d’éducation. J’ai pris connaissance de ses forces et de ses défis. Par la même occasion, j’ai également pris conscience de forces et de défis de notre système d’éducation au Québec. Une des conclusions à laquelle je viens est qu’ils sont complémentaires à bien des égards. Par exemple, à mon humble avis, nous avons certainement beaucoup à apprendre sur la formation des enseignants et les perspectives d’avancement professionnel offertes par le système scolaire français. En parallèle, je pense bien modestement que le système québécois peut vous aider sur le plan de l’intégration du numérique à la pédagogie. Bref, il est de mon avis que nous avons avantage à nous réseauter et à partager nos expertises réciproques ainsi que nos réussites pour contribuer à celles de l’autre. La francophonie mondiale ne s’en portera que mieux, non ?

Cela étant dit, je prends le temps de vous interpeler sur la question du bannissement des téléphones intelligents dans les écoles françaises. Je sais que, lors des dernières élections, votre gouvernement avait promis d’interdire les téléphones dans les écoles françaises. Et, à ce sujet, il est vertueux qu’un politicien mette en application ses promesses électorales. Or, je vous pose une question avant que vous ne mettiez votre plan à exécution dès la rentrée scolaire 2018 : si ce n’est pas l’école qui s’en occupe, qui montrera aux élèves à se servir éthiquement et avec civilité de leurs téléphones intelligents ?

Comme vous, j’ai remarqué lors de mon séjour que les jeunes (et moins jeunes aussi !) Français sont littéralement absorbés par leur appareil portable. Je l’ai constaté dans mes fréquents déplacements en train, et ce, autant dans la région parisienne que sur la Côte d’Azur. Je les ai vus parler à voix haute au téléphone dans des trains bondés, au grand déplaisir de ceux qui les entouraient. Et comme vous, je m’inquiète des effets que pourrait avoir la lumière bleue sur le cycle de sommeil de nos plus jeunes, ou encore, de la cyberdépendance. Même la posture de leur cou m’interpelle !

Cependant, il ne faut pas s’arrêter là. Justement, je pense qu’il est de notre responsabilité, en tant qu’acteurs du système scolaire, d’éduquer les jeunes à la modération dans l’utilisation de leurs appareils. Il faut se poser des questions primordiales : qui va les éduquer à développer un sens critique face aux outils technologiques dont ils sont tant friands ? Qui leur montrera comment fonctionnent ces appareils et leur expliquera comment les programmes (et leurs algorithmes) analysent leurs informations personnelles et prennent des décisions souvent mercantiles les concernant, notamment sur le plan de la publicité ciblée et géolocalisée ?

De plus, qui leur enseignera les rudiments de la citoyenneté numérique ? Qu’en est-il de l’éthique d’utilisation et de leur empreinte numérique ? Quels comportements doivent-ils avoir avec ces appareils, surtout en lien avec leur vie en société ? Et la cyberintimidation ? Le plagiat ? Le droit à l’image ? Contrairement à vous, je ne trouve pas de réponse satisfaisante à ces questions dans un bannissement des appareils numériques à l’école.

Au contraire, je crois fermement que l’école doit s’ouvrir aux réalités des jeunes et ainsi s’inscrire dans la mouvance sociale. Ses acteurs, moi le premier, doivent affronter leurs peurs, leurs inquiétudes et leurs préjugés face à l’omniprésence des téléphones intelligents dans le paysage scolaire, et ce, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique ! Oui, il existe un fossé important entre les « natifs du numérique », en l’occurrence nos jeunes nés au 21e siècle, et leurs enseignants, ces « immigrants du numérique », nés au 20e siècle. Les premiers n’ont jamais connu le monde sans les téléphones cellulaires ni Internet alors que les autres ont été témoins de leur naissance. Pourtant, ce sont les « immigrants » qui se permettent de juger les « natifs » sur le lien qu’ils entretiennent avec leur appareil ! Nous les forçons à penser et agir comme nous. Pourquoi ne pas en profiter et créer une école qui leur ressemble ?

Monsieur le Ministre, en tout respect, si vous croyez sincèrement que l’interdiction des téléphones intelligents dans le paysage scolaire est possible et même viable et qu’en plus, les problèmes potentiels liés à leur utilisation en contexte scolaire disparaitront, vous faites fausse route. Plusieurs écoles québécoises bannissent (ou bannissaient) ces appareils. Lorsqu’elles les confisquent, c’est un combat qui s’ouvre contre les élèves et contre leurs parents. Peut-être que ces derniers vous soutiennent dans votre croisade, mais je peux vous assurer que lorsque l’appareil de leur enfant aura été confisqué quelques jours, vous ne jouirez soudainement plus de leur soutien. Croyez-moi, Monsieur, je vous parle en connaissance de cause ! Oui, aussi pathétique que cela puisse paraître, nous leur retirons une partie de leur existence et un (faux) sentiment de sécurité. Vos enseignants, chefs d’établissements et inspecteurs de l’Éducation nationale en auront plein les bras et vous devrez instaurer une « police des cellulaires » dans vos écoles.

Ma courte expérience et mes rencontres avec quelques centaines d’enseignants français me permettent de déduire que ces derniers seraient certainement plus disposés à éduquer leurs élèves aux réalités du numérique plutôt que de partir à la « chasse aux téléphones » dans leurs classes et à devoir exercer une constante contrainte pour appliquer votre consigne d’interdiction. De toute façon, la contrainte n’a jamais été le meilleur outil pour éduquer, non ? Dans un cas, on instruit l’élève et on l’éduque à une utilisation responsable d’un appareil en contexte social, alors que dans l’autre, on joue à la police et on le punit pour avoir adopté un comportement que ceux qui le punissent adoptent eux-mêmes !

Comprenez-moi bien : je ne fais pas l’apologie d’une intégration irréfléchie des technologies et, certainement comme vous, je pense qu’il faut faire attention avec nos plus jeunes quant à l’utilisation des technologies à l’école. Je me permets plutôt de vous proposer ceci : formez les professionnels de l’éducation et donnez-leur les outils pour qu’ils puissent intégrer judicieusement ces appareils à la démarche d’apprentissage de leurs élèves, au bon moment. Vous avez des conseillers pédagogiques extraordinaires autant dans le réseau CANOPÉ qu’à la DANE. Ils sont là pour faciliter l’intégration de pratiquement n’importe quelles technologies à l’enseignement et à l’apprentissage. Cela vaut aussi pour les appareils portatifs personnels qui, soit dit en passant, ont l’avantage de diminuer l’investissement nécessaire des collectivités et des régions. Oui, cette intégration est possible ! C’est le cas dans plusieurs écoles américaines, canadiennes et québécoises. D’ailleurs, plusieurs prennent exemple sur cette école visionnaire qui a implanté une charte d’utilisation du réseau sans-fil (wi-fi) des appareils mobiles il y a environ six ou sept ans déjà ! Oui, vous avez bien lu; pour plusieurs écoles, il n’est plus question de permettre l’utilisation contextualisée ou pédagogique des téléphones intelligents à l’école, mais bien de leur donner accès complet au réseau wi-fi !

Je suis persuadé que vous ne souhaitez pas voir la France à la traine au plan non seulement du développement technologique et pédagogique, mais également aux plans de la citoyenneté numérique et du développement des compétences du 21e siècle chez les élèves. N’oubliez pas qu’un élève qui entrera au collège en septembre prochain sera peu de temps après un professionnel, un parent, un citoyen et qu’il prendra sa retraite dans les années ‘60… les années 2060 ! Croyez-vous que cette mesure actuelle contribuera à préparer vos élèves pour les quatre prochaines décennies ? J’en doute fort.

Je demeure à votre entière disponibilité pour vous partager des exemples de réussite d’intégration des technologies, autant dans notre école que dans d’autres écoles québécoises.

Veuillez agréer mes plus sincères salutations,

par Marc-André Girard (@magirard)
Directeur du secondaire au Collège Beaubois
Doctorant en administration de l’éducation
Conférencier et auteur du livre : « Le changement en milieu scolaire québécois »

 

 

À propos de l'auteur

Marc-André Girard
Marc-André Girard
Marc-André Girard est détenteur d’un baccalauréat en enseignement des sciences humaines (1999), d’une maitrise en didactique de l’histoire (2003), d’une maitrise en gestion de l’éducation (2013) et d’un doctorat en éducation (2022). Il s’est spécialisé en gestion du changement en milieu scolaire ainsi qu’en leadership pédagogique. Il s’intéresse également aux compétences du 21e siècle à développer en éducation. Il occupe un poste de direction dans une école publique et donne des conférences sur le leadership en éducation, les approches pédagonumériques, le changement en milieu scolaire ainsi que sur la professionnalisation de l’enseignement. Il a participé à des expéditions pédagogiques en France, en Finlande, en Suède, au Danemark et au Maroc. En septembre 2014, il a publié le livre « Le changement en milieu scolaire québécois » aux Éditions Reynald Goulet et, en 2019, il a publié une trilogie portant sur l'école du 21e siècle chez le même éditeur. Il collabore fréquemment à L’École branchée sur les questions relatives à l’éducation. Il est très impliqué dans tout ce qui entoure le développement professionnel des enseignants et des directions d'école ainsi que l’intégration des TIC à l’éducation. En mars 2016, il a reçu un prix CHAPO de l’AQUOPS pour l’ensemble de son implication. Il est récipiendaire de la bourse Régent-Fortin 2022 octroyée par l’ADERAE pour la contribution importante de ses études doctorales au développement de la pratique et des savoirs en administration de l’éducation.

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