En collaboration avec Alexandra Coutlée
De nombreux acteurs du milieu de l’éducation, principalement du secteur de l’enseignement supérieur, étaient récemment réunis à Montréal et virtuellement afin de réfléchir aux impacts, aux enjeux et aux possibilités offertes par l’intelligence artificielle (IA) pour le monde de l’enseignement. Retour sur la journée et les réactions qui ont suivi.
La Journée de l’intelligence artificielle en enseignement supérieur avait été initiée par le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec, en collaboration avec le ministère de l’Éducation. Cette initiative a d’ailleurs été saluée par de nombreux intervenants, même dans les pages du quotidien La Presse, alors que le chroniqueur Alexandre Sirois a félicité la ministre Pascale Déry.
La journée devrait permettre « d’échanger collectivement à propos d’enjeux éthiques, pédagogiques, d’évaluation des apprentissages et d’intégrité académique liés à l’utilisation d’agents conversationnels, tels que ChatGPT ». Les échanges ont pris la forme de conférences, de tables rondes et de mini-conférences animées par des experts de la technopédagogie et de l’intelligence artificielle. Quelque 1 250 participants étaient présents dont des enseignants, des professionnels en pédagogie, des chercheurs, des experts des domaines de la technopédagogie et de l’intelligence artificielle ainsi que des étudiants et des gestionnaires.
Dès le début de la journée, la ministre Déry a fait connaître ses couleurs : « Ce n’est pas une solution de bannir l’IA. Nous devons adopter une vision d’ouverture, réfléchir ensemble et trouver un équilibre pour la suite ». Elle a mentionné que la journée était la première étape d’une série d’actions qui seront mises en place par le gouvernement du Québec. Elle a aussi remercié son adjoint parlementaire, Mario Asselin, député de Vanier et bien connu pour son expertise numérique et pédagogique, qui l’appuie dans ce dossier.
Le chercheur associé à l’Université de Montréal Yoshua Bengio, qui est la figure de proue de l’IA au Québec et une sommité reconnue mondialement, a eu l’honneur d’ouvrir la journée. Celui qui a adopté un discours de prudence au sujet de l’IA dans les derniers mois a répété son message à l’effet qu’il est important de prendre du recul sur le développement fulgurant de l’IA et de réfléchir aux IA que nous voulons construire collectivement. « Ça peut faire peur, mais c’est aussi fascinant. »
Dans les milieux académiques, il a invité les professeurs à se donner du temps pour réfléchir et adapter leurs pratiques, notamment leurs méthodes d’évaluation. « Il faut rester centré sur les besoins de l’humain et se questionner sur ce que l’on recherche comme développement intellectuel des élèves. » Selon lui, ce sont les réponses à ces questions qui devraient guider les choix pédagogiques.
La professeure de l’Université Laval Nadia Naffi et le professeur à l’Université de Montréal Bruno Poellhuber ont ensuite pris la parole. Sans nier qu’il y a des risques associés à l’utilisation des outils numériques, tous deux ont soutenu que ceux-ci peuvent accompagner les apprenants dans leurs apprentissages, à condition qu’ils apprennent à les utiliser de la bonne façon, au bon moment (« quand, comment et pourquoi on les utilise »).
Nadia Naffi a rappelé que l’IA se développe dans les milieux académiques eux-mêmes, soit dans des centres de recherche universitaires de partout dans le monde. « Le monde de l’éducation est au cœur de la création de ces outils. Nous devons les adapter pour qu’ils répondent aux besoins de l’humain. »
Pour Bruno Poellhuber, il est clair que la technologie ne va pas remplacer les enseignants. « L’éducation, c’est un métier de relation. Le climat de classe ne peut pas être fait par l’IA. Tous les outils numériques doivent être considérés comme des outils qui servent à diversifier les méthodes d’enseignement. »
« Nous devons amener les élèves avec nous dans la conception de l’expérience d’un enseignement inclusif et équitable, les élèves doivent faire partie de la discussion. »
Nadia Naffi
Nécessaire adaptation
Au cours de la journée, Martine Peters, professeure de sciences de l’éducation à l’Université du Québec en Outaouais, a présenté les résultats d’une étude menée au cours des derniers mois. Ceux-ci font état de 13 % des étudiants universitaires qui affirment avoir utilisé un outil comme ChatGPT pour faire leurs travaux.
Aux enseignants qui seraient tentés de revenir au papier-crayon pour les examens, elle répond que ce n’est pas une solution. Selon elle, les professeurs devront « complètement retravailler » leurs évaluations et s’adapter à la présence des technologies.
Pour le moment, selon les résultats de son étude, 51 % d’entre eux comptent modifier leurs évaluations afin d’éviter le plagiat avec des outils d’intelligence artificielle et 33 % indiquent avoir l’intention d’enseigner comment utiliser ces nouveaux outils.
Formation continue pour enseignants
Un groupe s’est aussi penché sur la question de la formation continue des enseignants avec Normand Roy, professeur à l’Université de Montréal, et Alexandre Lepage, de l’Université Laval.
Présentement, l’intelligence artificielle n’est pas abordée dans les programmes éducatifs du primaire et du secondaire, et le numérique au sens large encore très peu. Les enseignants devront pourtant se développer une littératie de base afin d’aborder ces thèmes avec leurs élèves. La majorité des futurs enseignants ont seulement un cours de 3 crédits en lien avec le numérique dans leur formation initiale. Le besoin de formation continue est donc bien réel.
« L’IA s’inscrit dans le référentiel de la compétence de la profession enseignante : être un médiateur d’éléments de culture, mettre en œuvre des situations d’enseignement et d’apprentissage, mobiliser le numérique… l’IA s’inscrit dans tout ça », a rappelé Normand Roy.
A été donné en exemple l’initiative américaine The Artificial Intelligence (AI) for K-12 (AI4K12), à laquelle participe entre autre la Computer Science Teachers Association (CSTA). Celle-ci a permis de développer un continuum d’apprentissage de l’IA en cinq phases : perception, représentation, apprentissage, interactions avec les humains et impacts sociaux.
La conception pédagogique, notamment la manière dont l’IA peut transformer la formation continue, a aussi été abordé au cours de l’atelier. L’IA a le potentiel de générer rapidement du contenu, illustré par des outils comme Synthesia qui produit des vidéos à partir de contenu textuel, favorisant ainsi une diversité de contenus. Pour garantir la fiabilité de ce contenu ainsi créé, un processus itératif sera nécessaire, impliquant à la fois des experts humains et des outils d’IA. Cette combinaison permettra à un humain de vérifier ce que l’IA a fait pour répondre aux besoins de la formation, valider sa pertinence et apporter des ajustements au besoin.
L’application de l’IA dans la formation continue présente également plusieurs défis. Les préoccupations concernent le droit d’auteur et le modèle financier, l’éthique et la protection des données personnelles, ainsi que la transformation des rôles et l’apparition de nouvelles compétences. Les dangers incluent la propagation de fausses informations ou la dégradation de la qualité de l’information, la perte de compétences dans certains domaines et le possible plagiat. Il existe enfin un certain nombre de questions liées à l’environnement et aux infrastructures nécessaires.
L’enregistrement complet de la journée est disponible en rediffusion.
Aussi paru au sujet de la journée :
- Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle en éducation?
- Les professeurs devront s’adapter rapidement, alerte une chercheuse
- L’IA en enseignement : prendre les devants ou prendre du recul?
En complément :
- Intelligence artificielle et éducation Apports de la recherche et enjeux pour les politiques publiques (document récemment publié par le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse en France)
- Intégrité académique et IA en éducation : des recommandations et des stratégies (Infographie produite par le Carrefour d’innovation et de pédagogie universitaire de l’UQAM)