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L’interdisciplinarité autrement

Dans le but d'améliorer l'apprentissage des élèves, la mise en place de projets interdisciplinaires est une solution prometteuse. Cet article présente les conditions essentielles pour réussir cette transition, en mettant l'accent sur le rôle des enseignantes et le développement professionnel nécessaire, en se basant sur l'expérience vécu à l'école The Study à Montréal.

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Par France Gauthier et Lisa Jacobsen
Enseignantes et leaders pédagogiques, coordinatrices des projets interdisciplinaires
The Study, Westmount

Dans le but de permettre des apprentissages plus signifiants, de réduire la quantité de tâches distinctes demandées aux élèves et de les amener à développer leur esprit critique, réorganiser l’apprentissage en favorisant le développement de projets interdisciplinaires est une piste de solution intéressante. Pour y arriver, il faut toutefois miser sur la compétence des enseignantes.

Conditions gagnantes à la mise en place de projets interdisciplinaires

1- En faire une priorité

Pour mieux préparer les élèves aux exigences de demain, la direction doit avoir une vision et tenir à ce que ce changement d’approche soit une réussite. Elle doit donc fixer des objectifs réalistes, par exemple, pour la première année du chantier, chaque élève doit pouvoir vivre au moins une expérience interdisciplinaire. 

2- Établir une compréhension et une vision communes

Au moment de présenter cette « nouvelle » approche à l’équipe-école, il est important d’abord de s’entendre sur le sens du mot « interdisciplinarité ». Ainsi, le choix de retenir la définition d’« interdisciplinarité scolaire » de Lenoir et Sauvé (1998) présentée par Simon Gauthier dans son mémoire de recherche intitulé L’interdisciplinarité vécue par des enseignants généralistes du secondaire (2022), nous semble une avenue qui correspond à la vision adoptée. 

« Il s’agit de la mise en relation de deux ou plusieurs disciplines scolaires qui s’exerce à la fois sur les plans curriculaire, didactique et pédagogique, et qui conduit à l’établissement de liens de complémentarité ou de coopération, d’interpénétrations ou d’actions réciproques entre elles. Cette mise en relation entre les disciplines scolaires peut s’effectuer sous divers aspects (finalités, objets d’études, notions, démarches d’apprentissage, habiletés techniques, etc.) et vise à favoriser l’intégration des processus d’apprentissage et des savoirs chez les élèves. »

(Gauthier, 2022, p. 67)

Il faut aussi répondre à la question essentielle du POURQUOI? Pourquoi changer? Notre responsabilité en tant qu’école est de faire vivre à nos élèves des expériences d’apprentissage qui correspondent aux défis qu’elles et ils devront relever lors de leur intégration au marché du travail. Les projets interdisciplinaires permettent des apprentissages plus près de la réalité et favorisent l’engagement, tout en réduisant la charge de travail.

3- Placer les enseignantes au cœur de la création

Pour réaliser ce changement, permettre à deux enseignantes de consacrer une partie de leur tâche à la coordination des projets en devenant des leaders pédagogiques pour l’ensemble de l’école est  profitable. De plus, afin de respecter le professionnalisme et la créativité des enseignantes, il est intéressant de partir de leur expertise, en les invitant à créer un projet ou à se greffer à un projet déjà existant. Pour faciliter la réflexion, il est important toutefois de garder en tête que les projets ne doivent pas entraîner du travail additionnel pour l’élève ou nuire à l’intégration adéquate des programmes.
 

Ainsi, l’interdisciplinarité doit permettre aux élèves de travailler sur un projet dans lequel au moins deux enseignantes intègrent leur contenu et évaluent une ou plusieurs compétences disciplinaires. Elle vise aussi à réduire la quantité de tâches distinctes, mais favorise la qualité, la profondeur. Par exemple, auparavant, des élèves de 4e secondaire pouvaient se retrouver en fin d’étape à réaliser deux ou trois présentations. En collaborant à un même projet, une même présentation peut dorénavant servir dans plus d’une matière.

Les projets doivent émerger des intérêts des enseignantes et reposer sur leur savoir-faire. En ce sens, dans un premier temps, un sondage dont le but est de faire l’inventaire des projets déjà existants et des intérêts du personnel enseignant face à de futurs projets peut être réalisé. Cette collecte de données sert à créer des liens entre les collègues et entre les différents programmes. Ensuite, on peut encourager les enseignantes à intégrer deux matières différentes ou plus, à condition que l’interdisciplinarité soit pertinente. Afin de bien répartir la charge de travail des élèves, chaque projet peut se dérouler au moment souhaité durant l’année et sa durée peut être établie en fonction des besoins de chaque groupe de travail.

4- Miser sur le développement professionnel

Afin de documenter les réalisations dans cette démarche, à la fin de la première année d’expérimentation, les enseignantes peuvent remplir un formulaire décrivant globalement leur projet. Ce formulaire permet de garder une trace de chaque projet et de donner une rétroaction au personnel enseignant; il peut être utilisé comme point de départ lors des rencontres. Par exemple, le besoin de formation pour appliquer les principes de l’apprentissage par projet peut être nommé, alors que d’autres peuvent ressentir le besoin d’expérimenter différentes façons d’évaluer. La différenciation pédagogique s’impose donc lorsque vient le temps de parler de formation continue. Une foire de partage annuelle est aussi une bonne manière de favoriser la transmission d’expertise développée. Des ateliers ayant pour thème l’évaluation avec un angle interdisciplinaire ou une formation sur l’enseignement par projet peuvent être proposés. Ainsi, chaque personne peut choisir un atelier selon ses besoins. 

5- Accorder du temps et de l’espace

Au primaire, les enseignantes sont pour la plupart des généralistes et l’interdisciplinarité s’intègre plus naturellement, alors qu’au secondaire, en plus d’avoir à enseigner un programme construit en silo, les enseignantes et enseignants ont rarement l’opportunité de parler de leur programme avec les collègues d’une autre discipline. Accorder du temps à toutes les enseignantes afin qu’elles puissent échanger et discuter entre pairs est une condition essentielle. Des rencontres réparties dans l’année, soit à la dernière période d’une journée d’enseignement, permettent à tout le monde de se réunir afin de pouvoir parler programmes, compétences, contenus, projets, etc.
 
Comme à chaque fois que nous faisons face à un changement, il y a eu au sein de l’équipe de l’inquiétude, car le défi de trouver du temps pour planifier, enseigner, corriger et évaluer est omniprésent. Pour respecter le rythme de tous et chacune, il nous semble essentiel de planifier un échéancier réaliste. En revanche, face au changement, il y a aussi de l’enthousiasme chez plusieurs et l’enthousiasme, c’est contagieux.

Offrir un espace collaboratif où les enseignantes et enseignants peuvent se rencontrer afin de planifier leur projet interdisciplinaire au moment qui leur convient pendant l’année scolaire est aussi une condition gagnante. Cet espace permet la rencontre de petits groupes, avec ou sans le soutien des leaders pédagogiques, et propose un aménagement chaleureux.

Des petits projets qui deviennent grands

De bonnes idées grandiront très certainement au fil du temps grâce à la créativité des enseignantes. . Par exemple, en 3e année, une enseignante de français qui réalisait déjà un projet de recherche sur les champignons, dont la tâche finale était une présentation orale, a misé sur l’interdisciplinarité pour bonifier la tâche proposée. 

La spécialiste de science en a profité pour faire pousser des champignons dans son laboratoire pour permettre aux élèves d’en faire l’observation. Ensuite, l’enseignante en arts s’est jointe au projet : les élèves ont pu apprendre cinq techniques de modelage, à identifier des couleurs et à en recréer. L’enseignante d’anglais a pour sa part fait rédiger un texte descriptif sur le champignon choisi et un texte narratif où l’élève devait personnifier son champignon et lui faire vivre une aventure. 

Lorsque le temps est venu d’aller en forêt pour identifier d’autres variétés de champignons, l’équipe a intégré l’enseignante d’éducation physique. Les élèves ont pu ainsi  faire une randonnée en forêt en discutant, par exemple, de ce qu’il faut faire pour vivre cette expérience en toute sécurité. La bibliothécaire a aussi fait le choix de s’impliquer. Elle a acheté des livres à la portée d’élèves de 3e année et décidé de les accompagner à l’étape de la recherche. Pour la deuxième année du projet, les enseignantes aimeraient inviter un mycologue pour les accompagner dans leur randonnée.

En 2e secondaire, à partir de l’album documentaire Les saumons de la Mitis, écrit par Christine Beaulieu, une enseignante de français a su rallier quelques collègues pour créer un projet interdisciplinaire. 

Ce projet lui permettra de travailler le texte explicatif et justificatif. Dans le cours de science et technologie, le concept de la reproduction des saumons sera abordé, alors qu’en histoire, les élèves réfléchiront à l’impact de la construction des barrages sur l’environnement et sur le mode de vie des Autochtones. 

L’enseignante en éthique pourra, pour sa part, travailler la formulation de questions éthiques. Bien qu’elle en soit au tout début de l’élaboration de ce projet interdisciplinaire, cette équipe entrevoit déjà la possibilité, pour les enseignantes de mathématique, d’art et d’art dramatique, de se joindre à elle.

Le succès de ces projets, comme des autres projets, repose sur la générosité et l’ouverture des enseignantes et enseignants. Quelle belle façon de modeler ce que nous demandons aux élèves quotidiennement : collaborer! Car à quel moment nos élèves nous voient-ils collaborer? Les projets interdisciplinaires nous sont apparus comme un excellent moyen de modéliser ce qui est attendu des élèves.

Comment nous entrevoyons l’avenir

L’école souhaite que les projets interdisciplinaires fassent partie intégrante de la façon d’apprendre à The Study. Ce changement de pratique est né du besoin de réduire la quantité de tâches distinctes pour l’élève tout en s’assurant que les tâches demandées sont pertinentes et signifiantes. 

Pour les enseignantes, cela demande du temps pour réfléchir, discuter et partager. L’interdisciplinarité implique aussi que les enseignantes doivent planifier, enseigner et parfois même évaluer ensemble. Pour certaines, cela est plus naturel, alors que pour d’autres, ce travail d’équipe est plus exigeant et il faut en avoir conscience.

Pour faciliter la réalisation de ce changement de pratique, nous en sommes à repenser la façon d’aménager l’horaire pour permettre au personnel et aux élèves d’avoir des périodes réservées à la planification et à la réalisation de leurs projets.

Référence : Gauthier Brochu, Simon (2022). « L’interdisciplinarité vécue par des enseignants généralistes du secondaire » Mémoire. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en éducation.


Une autre version de ce texte a d’abord été publiée sous le titre Teaching for Tomorrow: The Study’s Interdisciplinary Pedagogical Initiative dans le magazine EngagED Learning – édition du printemps 2024. Ce magazine est le petit frère anglophone du magazine de l’École branchée. Vous êtes à l’aise en anglais? Vous pouvez vous procurer la version anglaise pour des articles exclusifs.

Vous pouvez aussi vous procurer le numéro du printemps 2024 du magazine de l’École branchée : Cultiver l’esprit d’entreprendre à l’école. Pst. Si vous avez accès à la version numérique du magazine en français, vous avez automatiquement accès à la version anglaise.

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