L’événement Init-IA-tive, organisé de façon indépendante par deux professionnels de l’éducation, Marc-André Girard et Marie-Andrée Croteau, a rassemblé 87 personnes parmi lesquelles se trouvaient des enseignants, conseillers pédagogiques et directions d’établissements scolaires. En fait, la journée s’est tenue à guichets fermés, ce qui a confirmé l’intérêt des acteurs du milieu éducatif face à l’essor rapide de l’intelligence artificielle (IA).
L’École branchée a été invitée à y participer afin de documenter les échanges et d’animer un panel de discussion.
Des objectifs clairs pour apprivoiser l’IA
La journée visait à démystifier l’IA, à explorer ses usages possibles en milieu scolaire et à identifier les défis à surmonter. Plusieurs thématiques ont été abordées :
- Comprendre ce qu’est réellement l’IA et ce qu’elle n’est pas.
- Explorer ses usages professionnels en éducation.
- Réfléchir aux moyens de minimiser ses risques et biais.
- Humaniser l’IA en la considérant comme un outil d’augmentation des compétences humaines.
Les personnes participantes avaient été placées par groupe de huit. Les organisateurs, dans la mesure du possible, avaient pris bien soin de séparer les groupes provenant d’un même établissement scolaire afin de favoriser la diversité des points de vue.
Les thématiques ont été amenées de façon ludique alors que les différentes tables s’étaient vu attribuer le nom d’un dragon. Leur « village » se retrouvait sous la menace de celui-ci. Comment allaient-ils réagir? Finalement, au terme d’un exercice créatif où les participants ont fait preuve de beaucoup d’imagination, ceux-ci ont opté pour coexister avec le dragon. Chaque groupe a présenté devant les autres sa façon de se préparer à coexister avec le dragon : prendre conscience des nouvelles possibilités offertes par sa présence, se doter d’une vision commune sur ce qu’on accepte de faire (ou non) avec lui, le nourrir de besoins humains, etc.
Finalement, loin de constituer une menace, le « dragon » peut être un allié s’il est encadré et utilisé de manière réfléchie.
Une conférence d’ouverture marquante
En milieu d’avant-midi, Margarida Romero, professeure à l’Université Côte d’Azur et à l’Universitat Internacional de Catalunya, a donné le ton en soulignant trois éléments essentiels à une bonne appropriation de l’IA :
- La subjectivité humaine : l’IA ne remplace pas le jugement humain, mais doit être utilisée en complémentarité.
- Les connaissances critiques : il est nécessaire de développer une compréhension approfondie de son fonctionnement.
- Une littératie spécifique : maîtriser les biais algorithmiques et la justice algorithmique est essentiel pour un usage éthique.
De plus, elle a mis l’accent sur le fait que l’IA met en exergue l’importance de la collaboration et des autres compétences dites du 21ᵉ siècle : la pensée critique, la pensée informatique, la résolution de problème et la créativité.
Elle a rappelé que l’IA, contrairement à l’IH (intelligence humaine), n’a pas d’expérience sensorielle du monde, n’a pas d’émotions réelles, n’a pas d’intuition ni de jugement moral et n’a pas de créativité véritablement originale, puisqu’elle génère à partir de ce qu’on lui donne comme information.
« En éducation, nous avons la responsabilité de développer encore plus la pensée critique. Plus que jamais, nous avons besoin de connaissances. Pour savoir ce qui est vrai ou faux, pour identifier les incohérences, il faut avoir les connaissances. Il faut aussi comprendre comment fonctionnent les machines, pour bien identifier leurs limites. Sans expertise et sans connaissance disciplinaire, on peut facilement se faire piéger par l’IA », a-t-elle dit.
D’ailleurs, elle n’a pas hésité à proposer aux enseignants de faire entrer les usages de l’IA dans la classe pour construire des activités dont le but est de piéger les élèves, de leur montrer les failles des IA. « Faites générer par l’IA et questionner la qualité de ce qui a été livré. Montrez ce qui ne fonctionne pas, amenez des contre-exemples, pour faire comprendre aux jeunes les biais de représentativité. On a besoin d’adultes qui ont une compréhension du monde pour les aider à développer leur propre compréhension du monde. »
Le support visuel utilisé par Margarida Romero est rendu disponible ici.
Intelligence hybride ou augmentée : L’humain demeure en contrôle, mais peut tirer profit de l’IA.
Un panel d’experts pour approfondir la réflexion
Animé par Martine Rioux, rédactrice en chef de l’École branchée, le panel d’experts a réuni Marc-André Girard, Marie-Andrée Croteau, Margarida Romero et Normand Roy qui ont échangé sur quatre sujets principaux.
- Combler les fractures numériques : Comment faire en sorte que les IA n’accentuent pas les inégalités numériques? Les inégalités sociales et économiques ont principalement été abordées.
- Développer des compétences essentielles : Quelles compétences transversales privilégier en classe? Collaboration, résolution de problèmes et créativité sont essentiels. Le développement de l’esprit critique est cependant identifié comme prioritaire. Le besoin d’identifier des sources fiables pour éviter de douter de tout a été mentionné.
- Organiser une réponse collective : Face aux défis de l’IA, il n’y aura pas de réponse unique. Chaque école doit être en mesure de développer sa vision, adaptée à sa réalité. Par où commencer pour structurer une réponse cohérente? La concertation et l’accompagnement sont parmi les solutions proposées.
- Construire une culture durable : Alors que les technologies évoluent constamment, comment assurer un changement de culture pérenne dans les établissements? Et si une autre innovation transformatrice arrivait demain, qu’aurions-nous appris de nos efforts actuels? Il devient essentiel de se placer en mode apprentissage en continu.
Des perspectives pour la suite
Dans les dernières portions de la journée, les participants ont exploré des pistes de développement et entamé une réflexion à ramener dans leur milieu respectif. Ils ont été invités à « prendre rendez-vous avec eux-mêmes pour faire progresser leur réflexion ».
Les organisateurs sont convaincus que cette première édition de Init-IA-tive a posé des bases solides pour une réflexion continue. D’ailleurs, de leur côté, ils réfléchissent déjà aux suites à donner à la journée. Une seconde édition pourrait bien être organisée pour approfondir certains enjeux et poursuivre l’accompagnement des professionnels de l’éducation dans cette transition numérique incontournable.
Un rapport résumant la journée a été produit et remis au ministère de l’Éducation et à la ministre de l’Enseignement supérieur du Québec. L’École branchée le rend disponible à partir de son site.

Ce que les participants avaient répondu dans un sondage pré-événement :
Appréhensions
- Utilisation inappropriée par les élèves
- Éthique et confidentialité
- Remplacement du jugement humain
- Développement rapide
Besoins
- Formation et sensibilisation
- Outils adaptés
- Échanges et partages de pratiques
- Gestion de l’IA en classe
Espoirs
- Amélioration de l’enseignement
- Outils d’assistance
- Éducation critique
- Collaboration et partage
Attentes
- Partage d’idées et de pratiques
- Réflexion collective
- Formation et outils pratiques
- Inspiration et motivation




