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Et si la prochaine plainte adressée à votre école était rédigée… par une IA? Dans plusieurs milieux, les directions reçoivent désormais des courriels ou lettres d’allure officielle, citant articles de loi et politiques ministérielles, entièrement générés par des outils comme ChatGPT ou Perplexity. Entre défense de droits et confusion réglementaire, une nouvelle ère de communication scolaire s’ouvre.
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Table des matières

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L’intelligence artificielle (IA) a cela de grand : elle peut donner du pouvoir à ceux qui ne croient pas vraiment en avoir, voire à ceux qui se sentent persécutés. Le domaine de l’éducation se prête bien à cet exercice.

En sillonnant le Québec pour former les gestionnaires scolaires sur le développement de leur compétence numérique, il est impossible de ne pas parler d’IA. Nous abordons les dimensions éthiques incontournables et dans les discussions que nous avons avec ces dernières, plusieurs exemples sont partagés, notamment celui qu’une collègue à la direction d’une école a surnommé la guerre des IA. Effectivement, des élèves (ou leurs parents) qui se sentent lésés par une décision de l’école ou qui sentent que leurs droits ne sont pas respectés ont recours à l’IA pour appuyer leurs plaintes sur un cadre légal et ainsi rédiger une lettre ou un courriel à la direction de l’école, en évoquant divers articles de loi ou de règlements.

J’ai joué le jeu et j’ai demandé à Perplexity, via son mode Deep Research, de m’écrire une lettre de plainte, et voici ma requête :

Je suis le parent d’un élève dyslexique en 4e secondaire qui fréquente une école québécoise. Mon enfant a un plan d’intervention dans lequel il est indiqué qu’il a droit d’utiliser des outils d’aide à la rédaction et dans lequel il est précisé qu’il a doit à un tiers du temps supplémentaire. Or, la direction de l’école offre ces mesures à tous les élèves de l’école ce qui soulève une problématique d’équité et qui est préjudiciable pour mon enfant. Je dois donc écrire une lettre de plainte au protecteur régional de l’élève qui met cette iniquité à l’avant-plan. J’aimerais qui tu rédiges cette lettre de façon formelle, en trois ou quatre paragraphes et en te référant à des articles de la Loi sur l’instruction publique, sur la politique de l’adaptation scolaire, sur le plan d’action pour soutenir la réussite des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) ou sur n’importe quel autre document québécois contemporain qui fait autorité en la matière. Tu peux aussi référer à l’article suivant du Devoir : https://www.ledevoir.com/actualites/education/923073/flexibilite-pedagogique-derange-ecole-privee-montreal

[Date]

Protecteur régional de l’élève

[Région concernée] 

1 833 420-5233 

[email protected]

Objet : Plainte relative à une situation d’iniquité concernant l’application des mesures d’adaptation prévues au plan d’intervention de mon enfant

Monsieur, Madame,

Je me permets de porter à votre attention une situation préoccupante qui affecte mon enfant, élève en quatrième secondaire à [nom de l’école]. Mon enfant, qui présente une dyslexie, bénéficie d’un plan d’intervention conformément à l’article 96.14 de la Loi sur l’instruction publique, lequel prévoit notamment un accès à des outils d’aide à la rédaction ainsi qu’un tiers du temps supplémentaire lors des évaluations. Or, la direction de l’école a pris la décision d’offrir ces mêmes mesures à l’ensemble des élèves de l’établissement, créant ainsi une problématique d’équité qui est préjudiciable pour mon enfant et qui contrevient aux principes fondamentaux de l’adaptation scolaire au Québec.

Selon le ministère de l’Éducation et sa « Politique de l’adaptation scolaire; une école adaptée à tous ses élèves », les mesures d’adaptation inscrites dans un plan d’intervention visent expressément à atténuer les obstacles que l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) rencontre en raison de ses caractéristiques personnelles, tout en respectant le principe d’équité. Ces mesures ne constituent pas un avantage indu, mais bien un ajustement nécessaire permettant à l’élève HDAA de répondre aux mêmes exigences que ses pairs. En offrant systématiquement ces accommodements à tous les élèves, l’école dénature la fonction même de ces mesures et porte atteinte au droit de mon enfant à des services éducatifs adaptés à ses besoins, tel que prescrit par l’article 234 de la Loi sur l’instruction publique. De plus, cette pratique contrevient à l’article 235 de cette même loi, qui impose au centre de services scolaire l’adoption d’une politique relative à l’organisation des services éducatifs qui tienne compte de l’évaluation des capacités et des besoins individuels de chaque élève HDAA.

Le document ministériel « Précisions sur la flexibilité pédagogique, les mesures d’adaptation et les modifications » établit clairement la distinction entre la flexibilité pédagogique, qui peut être offerte à tous les élèves dans le cadre de l’enseignement quotidien, et les mesures d’adaptation, qui sont planifiées spécifiquement dans le cadre de la démarche du plan d’intervention pour répondre aux besoins particuliers d’un élève identifié. En universalisant l’accès au tiers temps supplémentaire et aux outils d’aide technologiques, l’école fait perdre à ces mesures leur caractère adaptatif et compromet l’effet compensatoire qu’elles doivent avoir pour les élèves dyslexiques comme mon enfant. Cette situation place mon enfant dans une position d’inégalité réelle, puisque les ajustements prévus pour pallier ses limitations fonctionnelles ne lui procurent plus l’avantage compensatoire auquel il a droit en vertu de son plan d’intervention, créant ainsi un préjudice tangible à sa réussite scolaire.

En conséquence, je demande au protecteur régional de l’élève d’intervenir auprès de la direction de l’école et du centre de services scolaire afin que cessent ces pratiques qui contreviennent à la Loi sur l’instruction publique, à la *Politique de l’adaptation scolaire et aux orientations ministérielles en matière d’organisation des services aux élèves EHDAA. Je sollicite que soient rétablies les conditions d’équité nécessaires à la réussite de mon enfant, conformément aux droits qui lui sont garantis par la législation québécoise et par son plan d’intervention.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cette plainte et demeure disponible pour vous fournir toute information complémentaire qui pourrait s’avérer nécessaire à l’analyse de ce dossier.

Veuillez agréer, Monsieur, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.

[Votre signature]

[Votre nom]

Pièces jointes:

– Copie du plan d’intervention de l’élève

– Documents relatifs aux pratiques de l’école concernant l’octroi généralisé de mesures d’adaptation (le cas échéant)


Voilà qui est assez convaincant et qui pourrait faire douter n’importe quelle direction des orientations qu’elle aura mises en place. Elle a été rédigée par Perplexity, et je n’ai pas pris le temps de vérifier l’exactitude de toutes les informations, comme un parent en colère le ferait certainement également. L’IA génère un argumentaire qui peut sembler solide et convaincant pour donner une apparence d’experte à une personne qui ne connait pourtant rien dans un domaine donné. Dans certains cas, même, le vocabulaire employé par l’IA pourrait être intimidant puisque formulé à la manière d’une mise en demeure. C’est le début de la guerre de l’IA : utiliser cette technologie pour se plaindre et revendiquer ses droits sans en connaître tous les tenants et les aboutissants.

En présumant que la lettre est remise à la direction pour un suivi, la suite dépend de cette dernière. Poursuivra-t-elle cette guerre à son tour et utilisera-t-elle l’IA à son tour pour répondre au parent? Évidemment, n’importe quel avocat ou secrétaire général vous déconseillera de poursuivre les « hostilités », mais, sachant qu’il existe des directions dans nos écoles qui sont susceptibles de tomber dans ce piège, jouons le jeu et répliquons avec l’IA à notre tour.

Je suis directeur d’une école secondaire québécoise et j’ai reçu cette lettre de plainte qui m’a été envoyée par le Protecteur régional de l’élève. Tu dois informer le parent en question que notre école met en place des mesures qui s’apparentent à la conception universelle des apprentissages et que, dans cet esprit d’universalité, tous les élèves sont libres d’utiliser les outils et les modalités qui sont mises à leur disposition pour réaliser leurs tâches scolaires, qu’elles soient évaluées ou non. Son enfant n’est pas lésé pour autant et les modalités auxquelles le parent fait référence ne relèvent pas du privilège ou de l’exclusivité.

[Nom du parent]

Votre préoccupation concernant les mesures d’adaptation offertes à votre enfant et à l’ensemble des élèves de notre école a bien été reçue. Nous tenons à vous assurer que notre établissement privilégie une approche fondée sur la conception universelle des apprentissages (CUA). Selon ce principe, nous mettons en place des outils et des modalités destinés à favoriser la réussite de tous, en tenant compte de la diversité des profils et des besoins présents au sein de notre communauté scolaire.

Dans cet esprit d’universalité, il est essentiel que chaque élève, qu’il soit identifié comme EHDAA ou non, puisse accéder librement aux ressources et moyens pédagogiques disponibles, que ce soit pour des travaux évalués ou non. Ces mesures universelles ne créent pas de privilèges ni d’exclusivité : elles visent simplement à offrir un environnement inclusif où personne n’est lésé ou désavantagé. Votre enfant conserve ainsi son droit d’utiliser les outils et modalités qui lui sont nécessaires, tout comme ses pairs bénéficient du même accès adaptable et équitable.

Nous restons naturellement ouverts à discuter de toute question ou suggestion et à réaffirmer notre engagement envers l’équité, l’inclusion et la réussite de tous nos élèves au sein de l’école.

Veuillez agréer l’expression de nos salutations les plus respectueuses.

[Votre nom et signature]

[Vos informations de contact professionnelles]


En poursuivant dans cette logique belliqueuse, on ne discute plus des enjeux d’équité ou d’universalité; on se questionne davantage sur la personne qui utilise la meilleure IA ou qui démontre les meilleures habiletés de rédactique (NDLR : rédaction d’une requête, ou prompt)! Effectivement, ce que les parents et même ce que la direction négligent, c’est que ce qui est généré par l’IA choisie découle directement de la requête saisie. Quand on rédige une requête dans une optique de victimisation, l’IA ne corrigera pas l’usager pour l’éduquer sur la conception universelle des apprentissages, par exemple. Elle prendra la personne là où elle est ou là où elle croit être : dans une posture de victime et elle étoffera un argumentaire à partir du contexte fourni par l’usager.

La loi, les politiques et les règlements sont là pour tous. Or, il faut les comprendre au lieu de laisser les IA se les approprier. C’est souvent cette perception d’injustice et le désir de voir la situation être corrigée qui mènent, justement, à des guerres. Et l’histoire nous le rappelle sans cesse, non?

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