
Par Roberta Soares, Université d’Ottawa/University of Ottawa
Différents pays et régions adoptent divers modèles d’intégration des élèves immigrants qui doivent apprendre ou perfectionner leur langue de scolarisation. Au Québec, un modèle pour les jeunes est la classe d’accueil.
Elle fait partie du programme d’intégration linguistique, scolaire et sociale du ministère de l’Éducation du Québec. Selon les documents provinciaux, la classe d’accueil est destinée aux élèves « ayant besoin de soutien » pour améliorer leurs compétences linguistiques.
La classe d’accueil peut être offerte de la maternelle au secondaire dans la province, mais elle est surtout présente au secondaire et dans les régions où le nombre d’élèves apprenant la langue de scolarisation est élevé, comme à Montréal.
Les élèves qui ne maîtrisent pas suffisamment le français pour être classés en classe ordinaire sont orientés vers la classe d’accueil pour l’apprentissage du français. Au secondaire, les élèves en classe d’accueil étudient principalement le français, mais aussi les mathématiques, les arts et l’éducation physique, et ce, séparément des élèves fréquentant la classe ordinaire.
Entrevues avec des élèves et des intervenants scolaires
Ma recherche doctorale portait sur les procédures de classement des élèves du secondaire immigrants nouvellement arrivés avant et après leur séjour en classe d’accueil à Montréal.
J’ai recueilli et analysé différents types de données : documents, observations en milieu scolaire et entrevues auprès de 37 intervenants scolaires et de sept élèves afin de connaître leurs expériences et leurs points de vue sur le sujet.
Ma recherche suggère que, même si la classe d’accueil est considérée comme une « transition » vers la classe ordinaire, la réalité est plus complexe.
En fait, certains élèves pourraient ne jamais intégrer la classe ordinaire. Mes recherches révèlent de longs séjours en classe d’accueil, des élèves immigrants classés en dessous du niveau d’âge habituel des élèves de la classe ordinaire et des classements en éducation générale pour adultes et en adaptation scolaire.
Défis pour les élèves immigrants
Certains élèves peuvent rester des années en classe d’accueil s’ils ne sont pas jugés prêts à intégrer la classe ordinaire.
Pour certains adolescents plus âgés qui arrivent sans maîtriser la langue de la société d’accueil, il y a de fortes chances qu’ils soient, après le secondaire, dirigés vers l’éducation des adultes. Ils peuvent se retrouver à étudier avec des adultes beaucoup plus âgés qu’eux, ce qui peut nuire à leur motivation.
Le classement en adaptation scolaire veut dire que ces élèves peuvent être considérés comme ayant des difficultés d’apprentissage ou qu’ils peuvent être orientés vers des programmes techniques les préparant directement au marché du travail.
Une approche « déficitaire » de l’accompagnement des élèves
Selon les intervenants scolaires que j’ai interrogés dans le cadre de mon étude, seuls certains élèves répondent aux exigences du milieu d’accueil en termes de performance et de comportement et peuvent donc réussir leurs études.
Les élèves qui ne s’adaptent pas peuvent être perçus comme présentant des « déficits » individuels ou culturels, par exemple des difficultés d’apprentissage ou des retards scolaires. Certains intervenants scolaires ont aussi souligné des problèmes structurels du milieu d’accueil. Ils ont notamment mentionné que les systèmes scolaires manquaient de ressources pour répondre aux besoins des élèves immigrants.
Mes recherches suggèrent que ce qui était censé être un soutien temporaire devient un mécanisme de tri qui peut orienter les immigrants vers un parcours éducatif susceptible de les conduire à des difficultés.
Il est donc nécessaire d’examiner de manière critique la manière dont sont prises les décisions de classement et de maintien des élèves dans la classe d’accueil.
Familles insuffisamment informées
Selon les élèves de mon étude, eux et leurs parents ne sont pas suffisamment informés du système éducatif de leur province d’accueil.
Par conséquent, ils ont tendance à accepter les décisions de classement – en classe d’accueil, en éducation générale pour adultes et en adaptation scolaire – sans en comprendre pleinement les implications.
D’autres recherches ont également montré que les parents immigrants peuvent ne pas connaître le système éducatif local et hésiter à remettre en question les recommandations des professionnels de l’éducation.
En fait, comme ils se concentrent sur la sécurité et l’apprentissage de leurs enfants, ils ont tendance à faire confiance au système éducatif et à ses professionnels pour les guider.
Les décisions de classement façonnent l’avenir
De longs séjours en classe d’accueil, ainsi que des classements en adaptation scolaire et en éducation des adultes, peuvent avoir de profondes conséquences sur la vie des élèves immigrants, en particulier ceux qui sont racialisés, qui sont issus de milieux défavorisés ou qui ont interrompu leur scolarité.
D’après les témoignages des élèves participant à mon étude, le classement en classe d’accueil, en éducation spécialisée ou en éducation des adultes peut renforcer la dynamique d’altérisation. Comme l’ont souligné d’autres chercheurs, les formes d’éducation « spécialisées » ou « séparées » contribuent souvent à la perception des élèves à travers le prisme de la différence, notamment raciale, linguistique et culturelle.
Le discours sur l’intégration peut masquer les processus de catégorisation et de gestion des élèves fondés sur la conformité aux normes dominantes.
Cependant, cela ne signifie pas que les personnes qui, au sein des systèmes scolaires, facilitent le classement en classe d’accueil, en adaptation scolaire ou en éducation des adultes, manquent de bonnes intentions envers les élèves immigrants.
De nombreux personnels scolaires semblent faire de leur mieux dans des conditions difficiles. Il s’agit d’un enjeu systémique, profondément ancré dans la structure du système scolaire. Néanmoins, si le système lui-même reproduit les inégalités, reconnaître les bonnes intentions ne suffit pas.
Ainsi, pour assurer une éducation équitable à tous les élèves, il est essentiel de :
1) veiller à ce que les familles immigrantes disposent d’informations claires et accessibles sur leurs droits et leurs options, en leur fournissant un soutien adéquat, comme des services de traduction, et en garantissant la pleine participation des élèves et des parents à la prise de décision.
2) Offrir une formation et un soutien aux enseignants qui encouragent une réflexion axée sur les atouts plutôt que sur les déficits, afin de légitimer et d’adopter différentes façons d’apprentissage.
3) Envisager des modèles inclusifs au sein des classes ordinaires, en mettant à disposition des ressources scolaires suffisantes pour faciliter un plus large éventail d’options de classement.
Ainsi, en adoptant des approches plus souples, plus équitables et plus centrées sur l’élève, nos systèmes scolaires peuvent mettre en œuvre différentes façons de soutenir la réussite scolaire des élèves.
Par Roberta Soares, Assistant Professor, Faculty of Education, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.