Collaboration spéciale
Par Yves Munn, chargé de projets pédagonumériques à l’UQAM
Paru précédemment dans Le Collimateur, reproduit avec permission.
« Le numérique reste plus vaste que l’IA »
Le Cadre de référence mis à jour a été présenté le 24 octobre 2025 lors de la Journée du numérique en ligne. Il a été développé pendant plus de 18 mois par une équipe du GRIIPTIC, dirigée par Normand Roy (Université de Montréal), avec la participation de Marjorie Cuerrier (Université de Montréal), Chantal Tremblay (UQAM), Anne-Marie Sénécal (Université de Sherbrooke), Hugo G. Lapierre (Université de Montréal) et Bruno Poellhuber (Université de Montréal).
La mise à jour, et publication imminente, du Cadre de référence de la compétence numérique du Québec, à la fin de l’année 2025, ne constitue pas un « reset ». C’est plutôt une mise à jour attentive et solide. Le Cadre précédent, bien établi, s’était montré efficace. Toutefois, les temps ont changé, nécessitant un document adaptable.
Une équipe, une méthode, un périmètre
Deux recensions majeures, l’une sur la compétence numérique et l’autre sur l’IA, ont alimenté la réécriture, qui a nécessité la lecture de plus de 400 documents. Les consultations ont impliqué les réseaux RÉCIT et REPTIC, des dizaines de professeurs du collégial et universitaire, des conseillers pédagogiques locaux et nationaux, et plusieurs partenaires ministériels.

La portée interordres demeure, allant du préscolaire au niveau universitaire, avec une précision utile : la compétence numérique déborde les murs de l’école et concerne toute personne dans ses activités personnelles, professionnelles ou collectives.
Ce qui change sans tout changer
Fusion documentaire : le Cadre de référence, le Continuum de développement de la compétence numérique et le guide pédagogique se trouvent désormais dans un seul document pour assurer une cohérence accrue et éliminer les répétitions.

Charpente préservée : une seule compétence déclinée en 12 dimensions, avec deux dimensions centrales — agir en citoyenne ou citoyen éthique (dimension 1) et développer ses habiletés technologiques (dimension 2).
Roue rafraîchie : les couleurs évoluent, et surtout, le centre n’est plus une teinte neutre, mais une fusion chromatique qui matérialise le fait que les habiletés irriguent toutes les dimensions.
Contenus actualisés : l’IA générative, l’hypertrucage, les répercussions environnementales du numérique, le télétravail et la formation à distance sont intégrés. Un glossaire enrichi définit l’IA, l’IA générative, l’IA agentique.

Mais comment l’IA entre-t-elle dans le Cadre de référence ?
Elle traverse les dimensions chaque fois que c’est pertinent : culture informationnelle, éthique, production, collaboration, apprentissages. On n’invente pas une 13e dimension ; on ajuste les contenus. Cette approche préserve la pérennité : la technologie bouge, la compétence se construit.
Quatre paliers d’action : comprendre, utiliser, analyser, créer
L’ancienne présentation laisse place à des éléments de développement organisés en quatre paliers de progression inspirés de la taxonomie de Bloom révisée pour situer l’usage du numérique :
- Comprendre : mémorisation et compréhension de termes ou de phénomènes liés
- Utiliser : usage du numérique
- Analyser : analyse et évaluation critique d’outils ou de ressources
- Créer : conception et innovation avec le numérique

Exemple pour la dimension 1 (environnement) :
- Comprendre : expliquer les enjeux des usages numériques sur l’environnement
- Utiliser : adopter des pratiques responsables, en tenant compte des enjeux éthiques
- Analyser : prédire les effets potentiels des usages du numérique sur soi et la société
- Créer : élaborer des principes éthiques et concevoir des critères pour réduire l’empreinte
Thèmes et sous-thèmes
Chaque dimension est associée à des thèmes et sous-thèmes travaillés avec les milieux.
- Pour la dimension 1, les thèmes ne sont pas des cases à cocher, plutôt des points d’appui pour concevoir des activités. Par exemple :
- Santé mentale et physique;
- Normes, règles et responsabilités;
- Écoresponsabilité.

Le sous-thème « Bien-être numérique », par exemple, traverse tous les ordres, mais il évolue. Il est question du temps d’écran au primaire, de l’hygiène de vie numérique face aux longues heures d’ordinateur à l’université, ou encore de l’impact des objets connectés.
Changement majeur : on abandonne les concepts « débutant, intermédiaire, avancé » pour éviter la confusion entre le niveau d’atteinte de la compétence et le niveau de développement de la personne. Cette approche permet de travailler des éléments du palier « comprendre » dans des contextes simples au primaire comme complexes à l’université. Par exemple, le contexte analyser peut être plus complexe que créer. Évaluer la fiabilité d’une information produite par une IA peut demander plus de finesse que créer un diaporama à partir d’un thème existant.
Cinq publics cibles
Les exemples d’application se déclinent désormais en cinq contextes :
- Élève (préscolaire, primaire, secondaire, 4-17 ans)
- Adulte en formation (FGA, FP, cégep, université)
- Personne enseignante (tous ordres et niveaux)
- Personne membre du personnel scolaire (direction, services de garde, bibliothécaires, personnes conseillères pédagogiques, orthopédagogues)
- Citoyenne ou citoyen (activités personnelles, professionnelles, collectives)

Illustration avec la dimension 2 : Développer et mobiliser ses habiletés technologiques
- Élève : développer l’autonomie (se dépanner, manipuler le web)
— (palier 2 : utiliser) - Adulte en formation : usage d’outils dans son domaine
— (palier 2 : utiliser) - Personne enseignante : intégrer les outils à la planification et l’évaluation
— (palier 2 : utiliser) - Personnel scolaire : analyser et adapter ses pratiques pour gérer l’information (ex. : données des parents)
— (palier 3 : analyser) - Citoyenne ou citoyen : s’approprier des outils pour la déclaration de revenus
— (palier 1 : comprendre)
Les axes thématiques
Le Cadre propose 4 axes thématiques qui présentent des interactions naturelles et significatives les unes avec les autres. Ils répondent à un besoin de créer de la cohésion entre les 12 dimensions pour une vision intégrée. Cette structure est susceptible de mieux cibler des contextes pédagogiques pertinents, des activités réalistes et des projets intégrateurs.
- Axe 1 : Posture critique et éthique à l’égard du numérique
- Axe 2 : Apprentissage tout au long de sa vie
- Axe 3 : Interactions impliquant le numérique
- Axe 4 : Expression numérique dans une perspective innovante
Exemple pour l’axe 2 : Apprentissage tout au long de la vie
- Regroupe dimensions 3 (Numérique pour l’apprentissage), 9 (Développement de la personne), 2 (Habiletés technologiques), et 8 (Besoins diversifiés)
- Thèmes d’intérêt :
- Maitrise fonctionnelle et inclusive des outils numériques
- Personnalisation des apprentissages et stratégies numériques adaptatives

Ces axes simplifient l’offre de formations en facilitant la conception d’activités intégrant plusieurs dimensions.
Un guide pédagogique revisité
Pour soutenir la planification pédagogique, le nouveau guide pédagogique s’articule autour de 8 pistes de planification actualisées pour coller à la nouvelle architecture. Il vise à proposer une démarche de planification d’activités d’enseignement-apprentissage qui intègre une ou plusieurs dimensions de Cadre de référence, voire un axe thématique.
Le glossaire enrichi est également bonifié avec de nouveaux termes pertinents, dont plusieurs liés à l’IA.
Une trousse d’outils fournit des éléments visuels à utiliser : badges par dimension intégrables aux cahiers enseignants et élèves pour rendre visibles les objectifs et soutenir la métacognition. La roue est disponible en différents formats, avec ou sans pictogrammes.

Continuité et nouveau départ
Le Cadre de référence de 2019 fonctionnait bien. L’édition 2025 prolonge ces acquis, clarifie la progression et actualise les contenus. Elle intègre l’IA sans l’ériger en totem, traite des enjeux apparus depuis 2018, s’ouvre à tous les publics.
Pour l’équipe, la publication marque la fin d’un an de travail acharné. Pour les milieux, c’est le début d’une appropriation active. Le Cadre de référence n’est pas un produit figé à appliquer mécaniquement, mais un outil vivant à contextualiser, adapter et incarner dans les pratiques.
En conclusion
Le message à retenir est de s’emparer des quatre paliers de progression pour calibrer les tâches, de puiser dans les thèmes pour ancrer les activités, de choisir un axe pour relier des dimensions, de rendre l’objectif visible avec les badges, de s’appuyer sur le glossaire pour parler la même langue. Tout le monde est concerné : personnes enseignantes, personnel scolaire, adultes en formation, élèves, citoyennes et citoyens.
Le Cadre de référence ne constitue pas un carcan, mais plutôt une voie navigable, une boussole pour une citoyenneté numérique lucide et concrète, utilisable dans une classe, un service, un conseil, et au-delà. C’est la promesse de cette actualisation : offrir des repères qui tiennent dans le temps, au service de pratiques qui continueront d’évoluer.
Bibliographie
Gouvernement du Québec (2025). Cadre de référence de la compétence numérique actualisé. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. (À venir)
Gouvernement du Québec (2019). Cadre de référence de la compétence numérique. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/education/Numerique/Cadre-reference-competence-num.pdf
Présentation JNÉ- 24 octobre 2025 :
L’article « Actualisation 2025 du Cadre de référence de la compétence numérique» a été publié pour la première fois sur Le Collimateur, un site de veille pédagogique et pédagonumérique en enseignement supérieur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est reproduit avec la permission de l’équipe.






