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À propos des téléphones intelligents en classe : éduquer plutôt qu’interdire

Récemment, j’ai répondu aux questions d'une journaliste à propos des téléphones intelligents en classe. Je vous partage ici ma réflexion sur le sujet.

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Récemment, j’ai répondu aux questions de Geneviève St-Jean, journaliste pour Planète F, à propos des téléphones intelligents en classe. On peut lire son article ici. Cependant, comme j’avais pris le temps de développer un peu les réponses, je vous les partage aussi ici!

 

Q: J’aimerais en apprendre plus sur l’approche des écoles au Québec.  Les téléphones sont-ils règlementés, interdits, utilisés à des fins éducatives? 

Il n’y a pas de directives formelles au Québec concernant leur utilisation, chaque établissement se positionne. D’ailleurs, le ministre Sébastien Proulx a déjà dit qu’il n’adresserait pas cette question et laisserait le libre choix aux milieux.

Dans les faits, une école qui a une politique d’interdiction pourrait cependant permettre à un enseignant de les accepter pour un projet spécifique. Une école ayant une politique plus tolérante doit tout de même laisser le choix aux enseignants qui préfèrent de les interdire dans leurs classes.

Permettre aux élèves d’apporter leurs appareils en classe permet d’en tirer profit (tant qu’à les avoir sous la main!) de façon pédagogique. En effet, comme l’équipement des écoles en matériel informatique coûte extrêmement cher, une façon intéressante de voir les choses consiste à profiter des appareils qui sont déjà en possession des élèves. Dans le jargon, on appelle ça l’approche « AVAN », pour Apportez votre appareil numérique (de l’anglais BYOD, pour Bring your own device).

Les détracteurs disent que ça accentue les écarts sociaux entre ceux qui n’en possèdent pas et ceux qui ont le modèle dernier cri. Pourtant, des recherches ont montré que, justement, une activité réalisée par deux élèves en collaboration avec un seul appareil donne de meilleurs résultats que si chaque élève travaille de son côté. Et c’est sans compter le fait qu’on peut développer les compétences sociales de cette façon.

Que peut-on faire en classe avec un téléphone intelligent?

En fait, un enseignant qui donne un objectif pédagogique clair à atteindre en permettant l’emploi actif du téléphone intelligent risque moins les distractions que celui qui l’interdit, puisque les jeunes sont obligés de l’utiliser. Des exemples : documenter un phénomène ou une expérience scientifique en vidéo, créer des éléments de réalité augmentée pour enrichir la lecture d’un roman, photographier les étapes de construction d’une maquette et fabriquer un guide annoté, créer un quiz de révision interactif sur un thème donné à l’intention des autres élèves (puis y répondre), prendre des notes collaboratives dans un document partagé, écouter seul ou en équipe une vidéo qui donne des consignes, se filmer pour pratiquer un exposé oral, s’enregistrer pour améliorer sa prononciation en anglais, etc. En plus, peu importe la marque des appareils, ils possèdent tous des fonctions utiles comme un appareil photo, une caméra vidéo, une enregistreuse vocale et la possibilité d’accéder à Internet. Juste avec cela, on peut faire tout ce qui a été mentionné précédemment et bien plus.

Bien occupés, les élèves auront moins le temps d’être distraits! N’oublions pas non plus qu’aucun enseignant sensé ne fait QUE des projets sur écran en tout temps!

Une approche bienveillante à explorer : les « tech breaks »

Le professeur de psychologie américain Larry Rosen suggère aussi d’expérimenter les « tech breaks » en classe. Ainsi, pour 10 minutes de travail concentré, on donne 1 minute de pause (cumulable) où l’élève peut prendre ses messages, faire leur tour de ses réseaux sociaux et répondre à ses textos, pour ensuite se remettre à la tâche. Il semble que cela diminue leur anxiété et leur permet de mieux se concentrer. Évidemment, il ne s’agit pas de s’arrêter aux 10 minutes, mais peut-être 5-6 minutes à chaque heure…

En tant qu’adulte on peut difficilement comprendre ce sentiment d’anxiété vécu par beaucoup de jeunes lorsqu’ils n’ont pas accès à leur appareil. Plusieurs d’entre nous voient même cela comme de l’irrespect ou un signe d’avoir été mal élevé! Il ne faut pas oublier cependant qu’aujourd’hui, le téléphone intelligent est bien plus qu’un téléphone. C’est un agenda, une calculatrice, un moyen de communication, un appareil photo, une caméra vidéo, une encyclopédie, un baladeur, une bibliothèque complète, un GPS, une télévision, un carnet de notes, et parfois même carrément un portefeuille! Le confisquer a des conséquences beaucoup plus graves que confisquer la casquette d’un jeune qui a refusé de l’enlever en entrant dans la classe… Attention, il ne faut pas non plus tout permettre, mais il faut absolument tenir compte de ceci lorsqu’on établit des règles. Une approche bienveillante de la question, une attitude qui fait de plus en plus jaser (positivement!) en éducation, serait de tenter de concilier les besoins de chaque côté, dans un cadre respectueux, en impliquant les jeunes dès le départ.

 

Q : À votre connaissance, y a-t-il des pays qui ont banni le numérique de l’apprentissage au primaire ou au secondaire?

Banni complètement, pas à ma connaissance. Il y a certains courants pédagogiques, comme les écoles Waldorf, qui mettent l’écran de côté par contre, au profit d’une démarche plus spirituelle. D’ailleurs, on entend parfois à ce sujet le cas des cadres de la Silicon Valley qui inscriraient leurs enfants dans ces écoles pour leur éviter les écrans… La réalité semble plutôt qu’à chaque fois qu’on a parlé de cela, on parlait du cas d’une seule et même école, où les frais d’inscription sont bien élevés!

La préoccupation des parents est la même partout : offrir le meilleur à leurs enfants. Et dans certains cas, ça inclut de leur apprendre à se servir d’appareils numériques de façon utile, créative et responsable. Rappelons aussi que dans une classe où on utilise le numérique régulièrement, les jeunes ne sont pas scotchés à l’écran toute la journée, ni laissés à eux-mêmes! Les enseignants sont des professionnels qui savent utiliser les outils pertinents parmi ceux disponibles pour réaliser une tâche donnée. Et le numérique vient enrichir cette banque d’outils dont ils peuvent tirer profit.

 

Q : Que pensez-vous de l’annonce du gouvernement français?

Qu’on soit d’accord ou pas, le numérique fait partie de nos vies et il est là pour rester. C’est une révolution plus importante que ce que l’on est capable d’imaginer, et elle nous touche tous, qu’on le veuille ou non. Maintenant, préfère-t-on apprendre à contrôler ces machines ou se contentera-t-on de se laisser contrôler par elles?

Pour sa part, l’école française a voté une loi qui bannira, dès la rentrée 2018-2019 au primaire et jusqu’à la troisième année du secondaire, l’appareil numérique le plus accessible, celui que de très nombreux jeunes ont déjà en poche. À côté, on conserve heureusement les plans d’équipement numérique des établissements.

On dit que le numérique peut mettre en lumière le meilleur comme le pire de quelqu’un ou quelque chose… Interdire règlera certes le problème pour certains enseignants et parents à court terme, mais à moyen et long terme, il créera d’autres problèmes potentiellement plus importants. De plus, plagiat, intimidation, désinformation, etc. ne disparaîtront pas! On commence même à parler d’analphabétisme numérique pour qui sait consommer du numérique, mais pas en créer… Le coût de renonciation est grand.

À propos de l'auteur

Audrey Miller
Audrey Millerhttps://ecolebranchee.com
Directrice générale de l'École branchée, Audrey détient une formation universitaire de 2e cycle en technologies éducatives et un baccalauréat en communication publique. Membre de l'Ordre de l'Excellence en éducation du Québec, elle s'intéresse particulièrement au développement professionnel des enseignants, à l'information à l'ère du numérique et à l'éducation aux médias, tout en s'activant à créer des ponts entre les acteurs de l'écosystème éducatif depuis 1999.

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