La Feuille de route 2022-2026 du ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports du Maroc propose douze engagements impliquant une série d’actions concrètes touchant les élèves, les enseignants et les établissements scolaires.
« Les principaux volets du programme incluent une pédagogie structurée et une remédiation ciblée selon le niveau d’apprentissage des élèves. Aussi, d’autres composantes englobent la spécialisation des enseignants dans l’enseignement de l’arabe, du français et des mathématiques, ainsi que la reconnaissance des écoles participant avec succès au programme grâce à un système de certification de qualité », lit-on sur le site de l’Agence Maghreb Arabe Presse.
Le ministère marocain de l’Éducation a lancé le programme des « Écoles Pionnières » (PEP) en 2023, avec l’objectif de déployer progressivement des pratiques pédagogiques rigoureuses dans tout le réseau scolaire. Cela représentait 626 écoles participantes, dans 12 régions et 82 provinces, 12 000 enseignants et plus de 300 000 élèves. Les résultats de la première année de mise en œuvre (2023-2024) soulignaient déjà l’impact significatif du programme sur les apprentissages. En 2025, les syndicats d’enseignants et les comités de parents demandent la généralisation du programme à tout le pays.
Pédagogie structurée et remédiation
Les approches pédagogiques structurées mises de l’avant dans la Feuille de route sont l’enseignement explicite et l’approche de remédiation TaRL (Teaching at the Right Level). Deux experts québécois, Clermont Gauthier et Steve Bissonnette, ont d’ailleurs joué un rôle clé dans l’élaboration et le déploiement de ces approches auprès des Écoles Pionnières. Ils rendent compte des résultats dans le rapport Effets des pédagogies structurées, Enseignement explicite et TaRL, déployées dans la réforme scolaire du Maroc.
L’expérimentation du programme s’est appuyée sur ces deux piliers pédagogiques.
- Le premier, curatif, est le TaRL, une méthode développée par l’ONG indienne Pratham et adaptée au Maroc avec l’apport de Gauthier et Bissonnette. Elle consiste à regrouper les élèves par niveau réel de compétence plutôt que par niveau scolaire. Après quatre semaines d’intervention, les taux de maîtrise des savoirs fondamentaux ont été multipliés par deux en arabe, par trois en français et par quatre en mathématiques.
- Le second pilier, préventif, repose sur l’enseignement explicite, une méthode fondée sur la clarté des objectifs, la modélisation des attentes et la pratique guidée. Les premiers résultats indiquent des taux de réussite de 20 à 40 points de pourcentage supérieurs dans les écoles utilisant l’enseignement explicite en mathématiques.
Une évaluation rigoureuse menée par J-PAL, un laboratoire du MIT spécialisé dans les politiques publiques fondées sur des données probantes, a confirmé ces résultats. Menée auprès de 22 846 élèves, l’étude a révélé des gains « exceptionnels » en lecture, en mathématiques et en français, avec une taille d’effet globale de 0,90 écart-type – une performance classée dans le 1 % supérieur des interventions éducatives à l’échelle mondiale. Les effets bénéfiques se sont manifestés dans tous les milieux, y compris en milieu rural et auprès des élèves les plus en difficulté.
Parallèlement, des enquêtes qualitatives ont mis en évidence l’amélioration du climat scolaire, le renforcement de la collaboration entre enseignants et un engagement accru des élèves. Toutefois, des défis persistent. Le manque d’infrastructures technologiques dans certaines zones, les besoins de formation continue pour les enseignants et la mobilisation des parents figurent parmi les principaux freins à la généralisation du programme.
La nécessité d’une formation continue pour les enseignants afin de s’assurer qu’ils soient prêts pour gérer les nouvelles technologies et les stratégies pédagogiques est souvent mentionnée dans les rétroactions. « Le besoin énoncé de recevoir une formation continue ciblée est récurrent dans tous les retours d’information. Les parties prenantes suggèrent qu’une stratégie nationale de formation continue soit adaptée et adoptée pour répondre aux besoins technologiques et pédagogiques spécifiques. »
La formation des enseignants comme facteur de succès
Le succès de cette réforme repose sur plusieurs facteurs, à commencer par le critère de volontariat pour faire partie des écoles pionnières. Outre les méthodes pédagogiques choisies, la formation d’environ 11 000 enseignants par des inspecteurs eux-mêmes formés par Gauthier et Bissonnette semble avoir été déterminante. L’introduction de « leçons scriptées » a permis de garantir une mise en œuvre fidèle et cohérente des pratiques recommandées. Le curriculum a aussi été révisé de fond en comble avec l’ajout d’objectifs pour chacune des matières et, pour chacun des degrés, la détermination des idées maîtresses et la progression des contenus. Un autre élément clé est la culture des données probantes instaurée par le ministère, grâce notamment au système de gestion MASSAR, qui permet un suivi en temps réel des performances scolaires.
Fort de ces résultats, le Maroc prévoit étendre le programme à 2 000 nouvelles écoles chaque année, en visant une couverture complète du primaire d’ici 2027. À ce sujet, Gauthier et Bissonnette notent que « c’est au niveau de la formation continue et initiale que se situent, à notre avis, les défis les plus importants à relever. D’abord, la formation continue des inspecteurs et des enseignants devra être offerte efficacement dans tout le pays ». Un volet pour le secondaire, intitulé « Collèges Pionniers », a également été lancé à la rentrée 2024-2025. Il implique 232 collèges volontaires et plus de 200 000 élèves. L’ajout de 500 collèges et de 600 000 élèves est prévu en 2025-2026.
Malgré certaines turbulences politiques et critiques idéologiques, Gauthier et Bissonnette défendent la pertinence du modèle, insistant sur la nécessité de consolider et d’améliorer le dispositif plutôt que de le remettre en cause.
« Il faudra attendre quelques années supplémentaires avant de constater des différences dans les résultats aux épreuves internationales et aussi dans les taux d’abandon scolaire des jeunes marocains », mais « on aurait tort de remettre en question le modèle des écoles pionnières. Ce modèle a montré des résultats exceptionnels après seulement une année d’implantation », écrivent-ils en conclusion de leur rapport.
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