Mme Leclerc décrit l’IA comme un changement « exogène, institutionnel, brutal et imposé ». Elle est catégorique : cette technologie rend certaines pratiques évaluatives obsolètes et pose des défis d’intégrité intellectuelle. « Imaginez une classe où les élèves peuvent produire en quelques secondes un texte structuré sans réellement comprendre le contenu », illustre-t-elle. Face à cette réalité, l’évaluation devient le nœud de la réflexion : comment s’assurer que les travaux remis par les élèves reflètent un apprentissage authentique?
Un exemple frappant : l’examen de français de 5e secondaire
À titre d’expérimentation, Mme Leclerc a fait comme si elle était une élève de 5e secondaire et qu’elle désirait se préparer pour l’Épreuve uniforme de français que tous les élèves québécois passent en même temps en mai. L’objectif est de rédiger une lettre ouverte de 500 mots pour faire valoir leur point de vue sur un sujet. Les élèves reçoivent une semaine avant l’examen des documents à lire afin de se familiariser avec le sujet et de se préparer. Cette année, le thème était la « mode rapide ».
Mme Leclerc a donc soumis tous les documents reçus à l’outil d’IA Perplexity, et lui a demandé de lui générer une feuille de notes structurée, sans phrase complète, avec des citations par thème et des marqueurs de relation.
Son constat : le tout pouvait facilement être utilisé pour reproduire un texte crédible, sans apprentissage réel. Selon elle, cette démonstration soulève une interrogation importante : les évaluations traditionnelles valident-elles encore les compétences attendues?
Résistances et tensions dans le milieu scolaire
Parallèlement, à ce constat, la chercheuse observe une forte résistance au changement dans son milieu scolaire. Plusieurs enseignants doutent de la pertinence de modifier leurs pratiques, d’autres préfèrent ignorer l’IA ou demandent son interdiction, a-t-elle témoigné lors de son passage à l’Acfas.
Parmi les freins identifiés : le manque de formation, l’absence de repères éthiques clairs, des outils technologiques qui évoluent plus vite que les politiques et des responsabilités floues quant à leur utilisation en classe.
Pour comprendre les réactions du personnel, Mme Leclerc s’appuie sur des modèles théoriques, dont la théorie de la diffusion des innovations de Rogers et le triangle d’activité d’Engeström. Elle cartographie les profils d’adoptants et s’intéresse aux préoccupations spécifiques du corps enseignant.
Un plan d’accompagnement structuré sur trois ans
Elle souhaite maintenant pallier les freins identifiés et a mis en place d’un plan d’action structuré autour de cinq axes :
- Formation et sensibilisation du personnel.
- Développement de la littératie numérique chez les enseignants et les élèves.
- Utilisation pédagogique des IA génératives.
- Révision des pratiques d’évaluation.
- Suivi, accompagnement et rétroaction continue.
Parmi les actions concrètes déjà en cours : adaptation de la politique d’intégrité pour inclure l’IA, ateliers de formation, questionnaires de perception, création de communautés d’apprentissage professionnelles et réflexion sur de nouvelles façons d’évaluer (ex. journaux de bord, versions successives de travaux). Les changements se feront peu à peu, croit-elle.
Entre sobriété numérique et intégration de l’IA
Mme Leclerc note une tension perçue entre les discours actuels sur la sobriété numérique et l’introduction de nouvelles technologies comme l’IA. Pourtant, elle croit que ces deux orientations peuvent coexister. L’essentiel, selon elle, est de rester centré sur l’objectif : garantir un apprentissage authentique et développer chez les élèves des compétences humaines comme la créativité, l’esprit critique et le sens de l’éthique.
Pour elle, l’IA en éducation ne doit ni être ignorée ni imposée sans accompagnement. Elle insiste sur le rôle clé des directions dans la création de balises claires, la veille pédagogique active et la valorisation des pratiques innovantes. Le chantier est vaste, mais nécessaire : adapter l’école aux réalités du 21e siècle sans renier ses fondements.