Par Jean-François Bureau, de l’Université d’Ottawa/University of Ottawa et Audrey-Ann Deneault, de l’Université de Montréal
Les tensions entre le Canada et les États-Unis ont dominé le débat public au cours des premiers mois de l’année 2025.
Il a notamment été question de l’annexion du Canada en tant que 51e État et de guerre commerciale, avec des menaces et l’application de droits de douane par les États-Unis et le déploiement de tarifs compensatoires par le Canada.
Si ce climat politique est source d’incertitude à l’échelle internationale, de nombreux Canadiens craignent de perdre leur emploi dans une période où le coût de la vie pèse déjà lourdement sur les finances des familles.
On pourrait croire que ce sont des sujets qui préoccupent uniquement les adultes, mais des recherches récentes montrent que les enfants peuvent aussi en être affectés. En tant que chercheurs en psychologie, nous étudions les relations parents-enfants et la santé mentale des enfants et considérons qu’il est important de prendre en compte les peurs et l’anxiété des jeunes dans le climat politique actuel.
Nous expliquons ici pourquoi aborder ce sujet avec les enfants et comment les parents peuvent le faire de manière à la fois rassurante et informative.
Les préoccupations et les émotions des enfants
En 2020, aux États-Unis, on a demandé à des parents d’enfants âgés de six à dix-sept ans d’évaluer l’anxiété de leur enfant vis-à-vis de l’actualité politique, en fonction de différents enjeux électoraux traités par les médias depuis l’élection de 2016. Selon l’étude réalisée par la chercheuse en psychologie Nicole E. Caporino et ses collègues, 36 % des jeunes s’inquiétaient de voir les États-Unis entrer en guerre, et 37 % étaient préoccupés par la situation financière familiale.
De même, des études menées dans d’autres pays laissent penser que les enfants et les jeunes s’inquiètent des enjeux qui affectent leur famille. Sur la base de ces chiffres, nous pouvons supposer que de nombreux enfants canadiens sont préoccupés par le climat politique entre le Canada et les États-Unis.
Bien entendu, toutes les familles ne perçoivent pas les événements politiques et économiques de la même manière. Les enfants qui se trouvent dans une situation de précarité économique vivent sans doute déjà avec des facteurs de stress qui touchent leur foyer, comme le chômage ou l’insécurité alimentaire. Et les tensions actuelles peuvent exacerber leurs préoccupations.
Sachant leur enfant inquiet, des parents pourraient choisir d’éviter d’aborder certains sujets afin de ne pas aggraver sa détresse. Cependant, le fait de parler d’un événement stressant peut en fait diminuer la détresse ressentie en lien avec celui-ci.
Quand un enfant peut discuter de ce qui le préoccupe avec ses parents, il acquiert d’importantes compétences en matière de régulation émotionnelle et d’adaptation. Il apprend alors à reconnaître, à comprendre et à réguler ses émotions. Les conversations en famille contribuent également à créer un climat de confiance qui donne à l’enfant l’assurance qu’il peut compter sur ses parents en cas de besoin.
Détecter et traiter l’anxiété et les peurs des enfants
Les enfants n’ont pas toujours les mots pour exprimer leurs préoccupations, comme le font les adultes. Les parents doivent être attentifs aux signes d’anxiété chez leurs enfants, qui peuvent se manifester de différentes manières, notamment par des changements d’humeur, une irritabilité ou une tristesse accrue, des troubles du sommeil, une attitude plus collante que d’habitude ou un abandon de certaines activités. Il existe également des signes plus difficiles à déceler.
Voici cinq façons d’aborder la situation avec les enfants :
1. Poser des questions directes. Les questions directes peuvent permettre de comprendre ce que ressent un enfant. Vous pourriez demander : « Que sais-tu de la situation actuelle ? » ou « Que ressens-tu à ce sujet ? » Ces questions peuvent aider à détecter ce qui lui fait peur en particulier.
Les enfants ont tendance à ne pas s’inquiéter des mêmes choses que les adultes. Un jeune enfant qui a de la famille aux États-Unis pourrait avoir peur de ne plus la revoir. Un enfant plus âgé pourrait craindre qu’un parent perde son emploi, l’instabilité économique du pays ou des effets sur l’environnement. Certains enfants peuvent même avoir peur d’un affrontement militaire.
2. Faire attention à la manière dont le conflit est présenté. Dans les médias, il est courant de qualifier les tensions diplomatiques et économiques de « guerre commerciale ». Si les adultes savent que celle-ci n’implique pas d’attaques militaires, ce concept est plus abstrait pour les enfants.
Le mot « guerre » peut faire naître des images difficiles, avec des soldats, des armes et de la destruction. C’est particulièrement vrai pour les enfants qui ont déjà vécu la guerre, des conflits politiques ou des déplacements de population.
Il est important de présenter le conflit sous un angle que les enfants peuvent comprendre. Par exemple, les parents peuvent faire une comparaison avec un conflit entre deux enfants en disant : « Tu sais, quand deux enfants sont fâchés l’un contre l’autre à l’école et qu’ils ont un gros désaccord, il faut parfois beaucoup de temps pour trouver une solution qui convient à tout le monde. C’est un peu la même chose pour le conflit entre le Canada et les États-Unis. Ça peut prendre beaucoup de temps et d’efforts pour arriver à une solution. »
3. Éviter la désinformation. Lorsqu’ils abordent ces sujets, les parents doivent tenter de clarifier toute information erronée et de rassurer l’enfant. Ils doivent également veiller à ce que le jeune reçoive des informations provenant de sources crédibles plutôt que des médias sociaux ou de ses pairs, qui peuvent faire du sensationnalisme ou mal interpréter les événements. Fournir des explications factuelles, mais adaptées à l’âge de l’enfant, est un élément clé pour atténuer sa peur et son incertitude.
4. Parler de coopération et d’occasions plutôt que de boycott. De nombreuses familles canadiennes choisissent de boycotter les produits américains. Afin d’alléger la charge émotionnelle qui pèse sur les enfants, il peut être utile de formuler ce choix comme une occasion de coopération, en soulignant qu’on souhaite soutenir des entreprises locales.
De même, pour les familles qui ont les moyens de voyager, les changements de destination peuvent être présentés comme un moyen de découvrir de nouveaux lieux. On pourrait dire : « Cette année, au lieu d’aller à la plage, nous allons explorer des endroits incroyables plus près de chez nous. On va vraiment s’amuser en essayant de nouvelles choses ! » Cette approche favorise un sentiment de curiosité et de contrôle, plutôt que de l’anxiété. Il peut également être bénéfique pour le développement de l’enfant d’apprendre à s’adapter au changement.
5. Créer une impression de normalité et de régularité. S’il est important de valider les craintes des enfants, on doit aussi les aider à préserver un sentiment de normalité en veillant à établir un équilibre entre les discussions sur la guerre commerciale et ses ramifications potentielles et des sujets plus légers et banals. De même, le fait de limiter le temps pendant lequel les enfants regardent ou écoutent les informations permet d’éviter qu’ils n’acquièrent de nouvelles inquiétudes.
Les routines sont également bénéfiques pour le développement et le bien-être des enfants. Le maintien d’un horaire régulier pour l’heure du coucher, par exemple, peut les aider à se sentir en sécurité et moins anxieux. L’ajout d’activités amusantes et apaisantes à la routine quotidienne permet aux enfants de voir que la vie continue.
Comment traverser une période de turbulences ?
En pleine guerre commerciale avec les États-Unis, les parents doivent réfléchir à l’impact qu’elle peut avoir sur les émotions et le sentiment de sécurité de leurs enfants. Les conflits, même s’ils sont graves, ne durent pas éternellement, et on finit par trouver des solutions.
En attendant, les parents peuvent soutenir leurs enfants dans cette période difficile en leur donnant des explications adaptées à leur âge et en les aidant à faire preuve de résilience.
Par Jean-François Bureau, Professor, School of Psychology, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa et Audrey-Ann Deneault, Assistant Professor, Department of Psychology, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
