La fin novembre approche et vous vous demandez (déjà) comment vous arriverez à la fin de l’année scolaire? Vous êtes de retour à l’école depuis le début août et, déjà, les genoux commencent à plier, le manque de sommeil se fait sentir et la complexité de votre rôle vous accapare?
Il y a plein de choses que j’aimerais vous dire. La première : chacun de vos collègues a très certainement les mêmes impressions. Du côté de l’Ontario, des associations de directions d’établissements scolaires publiaient à l’été 2024 qu’une préoccupante frange de leurs membres a atteint un inquiétant point de rupture.
Du côté québécois, la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) se préoccupe de la situation depuis quelques années déjà. Le Groupe de recherche interrégional sur l’organisation du travail des directions d’établissement d’enseignement du Québec (GRIDE) explique d’ailleurs dans ses deux rapports (2021 et 2024) que les directions d’établissements scolaires sont soumises à de nombreuses sources de stress, une pression constante et à une augmentation non seulement de la charge de travail, mais aussi de sa complexité.
Premier réflexe de direction (et il est compréhensible) : s’isoler dans son bureau pour réaliser des tâches complexes qui requièrent de mobiliser tout son intellect.
Non, mais après tout, vous avez des demandes administratives incessantes et vous devez non seulement atteindre les objectifs qui vous sont imposés, mais en plus, vous devez respecter des échéanciers. Comment concilier ce qui vous semble, a priori, inconciliable? Au minimum, fermer la porte vous permettra de réaliser ce travail.
Le problème est que de s’isoler de la clameur de l’école permet de faire croire que vous pouvez travailler en marge de ceux que vous servez quotidiennement. Cela ne devrait pas être le cas! Voici comment je conçois le travail d’une direction, même si c’est peut-être réducteur : vous offrez des services aux élèves, à leurs parents et aux membres de l’équipe-école. Vous devez travailler en symbiose avec eux et ladite clameur vous permet de voir, sentir et entendre les besoins que vous devez combler. Fermer la porte et vous isoler, ce n’est pas la solution.
Deux avenues m’ont permis de persévérer pendant près de deux décennies dans un poste de direction.
1- L’aide à l’organisation
Ça fait bien longtemps que j’ai décidé d’accepter que mon cerveau n’était pas en mesure de se souvenir de tout ce que je dois mémoriser dans une journée, dans une semaine, un mois ou une année scolaire. Si cela semble une évidence pour plusieurs, c’était un deuil pour moi, un véritable aveu de vulnérabilité intellectuelle!
Depuis, j’utilise divers outils qui me permettent de me souvenir de (presque) tout. Qui n’a pas vécu cette situation embarrassante où une direction « marche son école » et qu’un enseignant l’interpelle pour lui mentionner un simple besoin comme, par exemple, rappeler qu’il manque de papier de toilette dans la toilette réservée aux membres du personnel et que, 38 secondes plus tard, un autre enseignant l’interpelle parce qu’un élève est en fugue? Résultat, une heure plus tard, à votre retour au bureau, vous avez complètement oublié le fameux papier de toilette. Par contre, des membres du personnel savent que vous saviez et peuvent conclure que vous n’avez « rien fait »… certains pourraient retenir que vous vous préoccupez bien peu de leur bien-être… Des fois, il en faut peu pour que les choses prennent des tournures inquiétantes, n’est-ce pas?
Outre un calendrier que je suis religieusement, pour lequel chaque rencontre a un rappel qui varie entre 15 minutes et deux semaines, j’utilise Todoist quotidiennement en tant que liste de choses à faire (to-do list).
L’application me permet essentiellement trois fonctions incontournables :
- Des rappels géolocalisés : Si je saisis une tâche et que je suis à l’extérieur de l’école, j’indique l’adresse de l’école. Alors, dès que j’y reviens, je reçois une alerte. Fantastique! D’ailleurs, n’est-ce pas quand la pression tombe que viennent les bonnes idées ou les « il ne faut pas que j’oublie cela demain »?
- La création de tâches : Je peux transformer des courriels envoyés en tâches qui s’ajoutent à mon tableau de choses à faire, ce qui me permet de faire les suivis nécessaires auprès des personnes concernées. Absolument génial!
- La concentration sur les choses à faire : Je travaille sur ce logiciel multiplateforme, en marge de mon environnement Outlook qui peut recevoir jusqu’à une centaine de courriels par jour. Cela m’évite d’être distrait par les courriels qui apparaissent sur mon écran un peu trop rapidement et de me concentrer sur mes priorités. Il y a des temps pour répondre aux courriels, d’autres pour cocher les tâches à faire dans la journée!
Aussi bizarre que cela puisse paraître, je donne l’impression d’en échapper très peu et cela contribue à me bâtir une crédibilité auprès des intervenants de l’école, incluant les élèves. Si j’oublie quand même quelque chose, les gens qui me côtoient sont compréhensifs à mon égard et savent que cela se produit rarement. Quand les gens savent que vous faites le nécessaire pour eux, les fois que vous manquez quelque chose, ils sont plus conciliants!
Être bien organisé permet de prendre les devants et d’achever les tâches administratives à des moments qui n’impliquent pas de priver l’équipe-école d’une présence rassurante et incontournable. En ce qui me concerne, je préfère arriver tôt le matin pour acquitter ces tâches et ainsi laisser ma porte ouverte le plus possible pendant la journée. Cela me permet aussi d’être régulier dans certaines tâches. Par exemple, les membres d’un comité reçoivent un rappel de la rencontre et son ordre du jour au moins une semaine d’avance, la présidence du conseil d’établissement reçoit un premier jet de la rencontre deux semaines d’avance, etc.
2- Savoir « tricher »
La quantité de requêtes et de demandes qui atterrissent sur le bureau d’une direction est importante, parfois même insensée. Il est facile d’avoir la triste impression que personne ne se parle et que les demandeurs sont insensibles à la réalité de ce qu’une journée scolaire implique réellement. Ou de penser que tout le monde se donne le mot pour nous ensevelir sous de multiples tâches plus complexes les unes que les autres. Soyez rassuré, ce n’est pas le cas! Cependant, il est clair que les mois de la rentrée et ceux de la fin de l’année sont importants pour tous, alors il est normal d’y voir affluer des demandes en quantité à ces moments!
Comment s’en sortir? Je crois en l’importance de savoir « tricher » (ou de se donner le droit de tricher) dans son travail, dans certains dossiers de nature administrative. Je précise : dans certains dossiers administratifs et non pas dans les dossiers qui requièrent ce que vous savez probablement faire de mieux, notamment agir humainement auprès d’humains en quête d’humanisme (pléonasmes volontaires!).
J’ai appris cela d’un spécialiste en santé mentale chez les cadres en exercice, il y a quelques années. Clairement, pour certains dossiers, on a le devoir d’être impeccables, parfaits et exemplaires. À mon sens, ces dossiers impliquent les humains avec lesquels on travaille : les élèves, le personnel, les parents, etc. Pour ces dossiers qui se traduisent en mise en relations interpersonnelles, il est primordial de bien faire les choses et de prendre le temps qu’il faut.
Or, pour d’autres dossiers administratifs, on peut tourner les coins plus ronds. Nul n’a à être parfait en tout temps. Le « bien » est tout à fait acceptable. Au lieu de faire les tâches administratives d’une excellente façon, y a-t-il moyen d’atteindre les objectifs de ladite tâche d’une bonne façon? On entend parler des directions qui font preuve de savoir-faire ou de savoir-être exceptionnels. Est-ce qu’on reconnaît celles qui font les meilleures planifications des effectifs? Ou qui remplissent le mieux les CollecteInfo? Les écoles ont besoin de leaders pédagogiques qui suscitent l’adhésion du personnel envers la mission éducative. Si les tâches administratives étaient à ce point importantes, des comptables ou autres gestionnaires administratifs seraient embauchés dans les écoles.
Il ne faut pas sombrer dans le manichéisme et refuser de mener les tâches administratives qui nous sont imposées. Elles ne sont pas mauvaises en soi et certaines peuvent effectivement voir à la consolidation du leadership de la direction et faciliter l’émergence de celui des autres membres de l’équipe-école. C’est d’ailleurs le cas de l’organisation scolaire. Le contraire n’est pas non plus souhaitable pour ainsi éviter que la profession de direction s’« administrationalise » et que ces dernières passent le plus clair de leur temps dans la rédaction ou la lecture de rapports et de politiques, à extraire des données, à produire des redditions de compte, etc. Ce qui est d’abord attendu des directions, c’est qu’elles soient sur le terrain, qu’elles exercent leur leadership, qu’elles collaborent avec les partenaires de l’école et, surtout, qu’elles mettent en place un environnement rendant les membres de l’équipe-école capables de réaliser ce qui est attendu d’eux.
Évidemment, la tension entre l’urgence du quotidien et les obligations administratives crée une déchirure et cette dernière a été ressentie par plusieurs directions, à des degrés et à des fréquences différentes. Après tout, plusieurs gestionnaires scolaires sont d’abord des pédagogues. S’ils ont choisi cette profession, contrairement à ce que plusieurs peuvent penser, ce n’est pas seulement parce qu’ils aiment les jeunes, mais plutôt parce qu’ils aiment les adultes qu’ils deviendront!
En bref, laisser la porte de son bureau ouverte témoigne de l’engagement de la direction à servir le personnel de l’école, ainsi que les élèves. Ce qui relève des humains devrait être la priorité au quotidien.
Je me dis que si je suis un éducateur expérimenté en plus d’un leader pédagogique, c’est que j’ai cette conviction que cet amalgame est plus que nécessaire dans nos écoles. Si cela est vrai pour moi, cela l’est aussi pour tous les gestionnaires scolaires. Des gens compétents pour faire des tâches administratives, il y en a partout. Des leaders pédagogiques bienveillants, avec un haut quotient d’intelligence sociale et émotionnelle, il y en a peu. Heureusement pour la société, ils sont dans les écoles et dans les bureaux de direction. Dans cette perspective, ces gens doivent être accessibles sur le terrain, en contact avec ceux qu’ils peuvent influence positivement.