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Regards croisés entre la Wallonie et le Québec : 6 défis et opportunités du numérique en éducation

Dans le cadre de l’édition 2024 de l’événement Sett Namur, qui a eu lieu les 25 et 26 janvier dernier en Belgique, une conférence d’Audrey Miller et Laurent Di Pasquale a permis d’explorer les défis et les opportunités que nous offre le numérique en éducation. Voici les 6 enjeux qu’ils ont retenus pour l’occasion, ainsi que les résultats de leur sondage aux participants.

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Avec la collaboration de Laurent Di Pasquale

Pendant 45 minutes, les quelque 200 participants ont été invités à un voyage à travers six thèmes majeurs, offrant un aperçu des enjeux complexes auxquels sont confrontés les acteurs de l’éducation dans le contexte numérique actuel, et ce, de part et d’autre de l’Atlantique. La séance a débuté par une invitation à participer à un sondage interactif, dont les réponses seront dévoilées à la fin de cet article. 

Audrey Miller est directrice générale de l’École branchée, située au Québec. Pour sa part, Laurent Di Pasquale est professeur de sciences sociales et de géographie en Wallonie, la région francophone de la Belgique. À l’occasion de cette conférence, ils ont abordé six thèmes révélant la complexité des défis humains et relationnels posés par l’utilisation croissante des technologies en éducation. Ils ont aussi profité de l’occasion pour mettre les mettre en lumière selon leur perspective québécoise ou wallonne. 

Photo : Antoine Carpentiers pour le Sett Namur

1. La gestion des écrans

Le premier thème a exploré la gestion des écrans, soulignant les nuances entre les recommandations officielles en Wallonie et au Québec, ainsi que les défis rencontrés par les parents et les enseignants dans la gestion de l’utilisation des écrans par les jeunes, notamment depuis la pandémie de COVID-19. 

Audrey et Laurent ont souligné l’importance de promouvoir des usages équilibrés des écrans, tout en encourageant la créativité et l’apprentissage actif, et de ne pas user uniquement de notre perception d’adulte dans l’établissement des balises. Ils croient d’ailleurs qu’on ne peut ignorer ni interdire complètement les écrans si on veut vraiment préparer nos jeunes au futur. 

Depuis les années 1980, la recherche a montré de nombreux bénéfices des outils numériques, autant pour les élèves que pour les enseignants. On sait par exemple hors de tout doute que le numérique entraîne la motivation, que la motivation est un facteur important de persévérance et de réussite scolaire, mais, pour que le numérique influence la réussite, il faut avant tout s’intéresser aux usages que l’on en fait, et non aux outils. « Et c’est là toute la subtilité », estiment-ils. 

Donc, l’utilisation des écrans ne doit surtout pas être rejetée. Cependant, les pédagogues doivent garder en tête cette question centrale : dans quel dessein pédagogique et avec quel bénéfice pour les apprenants cette utilisation est-elle envisagée?

2. La fracture numérique

La fracture numérique a été identifiée comme un autre défi majeur, mettant en lumière les disparités d’accès aux équipements numériques entre l’école et le domicile, malgré les investissements importants réalisés pour combler ces écarts. 

Par exemple, selon une étude commandée par la Fondation Roi Baudouin, en 2022, la moitié des Belges de 16 à 74 ans se trouvaient en situation de « vulnérabilité numérique » (identifiés comme ayant de faibles compétences numériques ou carrément non-utilisateurs). Du côté du Québec, on a mesuré en 2022, via l’enquête NETendances, que 91 % des ménages possédaient au moins un appareil numérique, mais est-il adapté aux usages requis pour l’apprentissage? 

Les orateurs ont souligné la nécessité de développer des stratégies inclusives pour garantir un accès équitable aux ressources numériques pour tous les apprenants, soulignant les efforts en ce sens déployés au Québec via le Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur, ainsi qu’en Wallonie par les projets du programme « École numérique » ainsi que via des plans d’équipement lancés par Wallonie-Bruxelles Enseignement, visant par exemple des projets 1:1 (un pour un, ou « one to one »), tel que celui qui fait l’objet de cet article à la suite de notre visite à l’Athénée Royal de Nivelles, en 2023.

3. La formation des enseignants

La formation des enseignants a ensuite été examinée, avec un accent particulier sur l’importance de l’intégration du numérique dans la formation initiale et continue. Audrey et Laurent ont présenté un aperçu des dispositifs mis en place de part et d’autre pour soutenir cette « montée en compétence » visant à tirer pleinement parti des technologies en classe, tout en soulignant les défis persistants liés à la pénurie de ressources et au manque de temps pour la formation. D’ailleurs, d’un côté comme de l’autre, on constate que l’état actuel de la formation initiale ne prépare pas suffisamment les futurs enseignants aux possibilités offertes par le numérique. 

4. Le fossé générationnel

Le fossé générationnel est un défi aussi identifié par les conférenciers. D’une part, ils remarquent que les jeunes enseignants, desquels on pourrait s’attendre à un recours plus naturel au numérique, auront plutôt tendance à se concentrer sur la maîtrise des contenus d’enseignement et de la gestion de classe avant de s’embarquer dans des projets augmentés par le numérique. Et à l’opposé, ils rencontrent nombre d’enseignants en fin de carrière qui connaissent un nouveau souffle de motivation envers leur profession en constatant à quel point ces outils peuvent leur permettre d’aller plus loin et de stimuler la créativité et la productivité des jeunes.

Après tout, comme l’a rappelé Audrey, le numérique, ce n’est plus si nouveau que cela! Elle a fait voyager la foule dans le temps à travers une chronologie d’événements marquants depuis l’invention du courriel en 1972, pointant au passage que le Wi-fi est apparu en 1997, que Wikipédia en 2001 faisait trembler les milieux scolaires (« Les jeunes vont tous tricher en copiant-collant de fausses informations!!! »), que Facebook en 2004 était complètement bloqué des réseaux informatiques scolaires, que YouTube en 2005 allait faire disparaître les enseignants au profit de vidéos… et que nous entrons maintenant dans l’ère de l’IA avec les mêmes appréhensions…

5. La vie numérique vs la « vraie vie »

La tendance à distinguer la vie numérique de la « vraie vie » a été exploré comme défi avec sensibilité, remettant en question les perceptions traditionnelles de l’utilisation des technologies et soulignant l’importance de la citoyenneté « à l’ère du numérique ». Les conférenciers ont encouragé une réflexion critique sur les implications sociales et éthiques de l’utilisation des technologies, tout en mettant en avant la nécessité de favoriser des comportements responsables en ligne… comme dans le monde réel! 

Un exemple de projet du côté belge souligne l’important lien existant entre vie numérique et environnement réel. Ainsi, l’équipe de l’ArapsEsport illustre à merveille cet aspect à l’Athénée Royal de l’Air Pur de Seraing. Ce projet, qui implique l’organisation de tournois e-sport, la réalisation de reportages centrés sur l’utilisation des jeux vidéo, et la diffusion de prestations en direct sur Twitch, démontre comment nos jeunes, bien qu’interconnectés à distance, peuvent se réunir autour d’une thématique numérique et vidéoludique dans la vie réelle. 

Un autre exemple qui a été souligné est la popularité de part et d’autre de l’Atlantique des compétitions de robotique. En outre, la First Lego League (FLL), Ligue Lego First au Québec, permet aux jeunes participants de démontrer leurs prouesses en programmation informatique tout en contribuant à trouver des solutions viables à des problèmes du monde réel. 

6. L’intelligence artificielle

Enfin, l’intelligence artificielle a été abordée avec prudence, mettant en lumière à la fois les perspectives prometteuses et les enjeux éthiques liés à son utilisation en éducation. Audrey et Laurent ont souligné l’importance de développer une compréhension approfondie des implications de l’IA en éducation, tout en invitant à une approche réfléchie et éthique de son intégration dans les pratiques pédagogiques, à la fois comme outils pouvant soutenir avantageusement l’enseignement, mais aussi comme réalité qui touchera un jour ou l’autre tous les élèves.

– –

En conclusion, la conférence a mis en lumière le fait que les défis, bien que parfois abordés différemment, restent des enjeux communs peu importe la distance entre les deux pays. D’ailleurs, Audrey et Laurent ont conclu en rappelant que certains estiment que l’illettrisme de demain sera numérique (avec un nouveau mot pour désigner le phénomène, l’illectronisme). La poursuite des activités de collaboration entre la Wallonie et le Québec offre assurément une perspective enrichissante sur ces défis communs à relever. 

La parole aux participants

Pendant et après la conférence, Audrey et Laurent ont voulu prendre le pouls des participants à travers les questions suivantes. 

1. Entre le Québec et la Belgique, quels enjeux avons-nous probablement en commun? (Question ouverte). Les réponses reçues se déclinent autour des thèmes suivants : 

  • La formation des enseignants
  • La fracture numérique
  • Utilisation de l’IA en éducation
  • Éducation aux nouvelles technologies
  • Intégration du numérique dans l’éducation
  • Éducation des jeunes
  • Utilisation des outils numériques
  • La protection du français
  • Accompagnement au changement vers le numérique

2. Parmi les défis soulevés pendant la conférence, lesquels sont selon vous les plus importants? Voici le top 3.

  • La formation des futurs enseignants a été jugée comme la thématique la plus importante, avec 62% des votes.
  • La place de l’intelligence artificielle (34 %)
  • La gestion des écrans (24 %)

Cela indique une forte prise de conscience de la nécessité d’adapter la formation des enseignants aux défis contemporains, y compris la maîtrise des outils numériques et l’intégration judicieuse de l’IA dans l’éducation.

3. Devrait-on légiférer au niveau éducatif sur la gestion du temps d’écran?

  • Oui : 31 % 
  • Non : 21 %
  • Ça dépend : 48 % 🙂

Près de la moitié des répondants (48 %) estime que la question de légiférer sur la gestion du temps d’écran dépend de différents facteurs, soulignant la complexité de la question et la nécessité d’une approche nuancée.

4. Si l’on choisit de le faire, quelle(s) raison(s) devrait-on prioriser dans l’usage des écrans en pédagogie?

  • La création : 59 %
  • La collaboration : 56 %
  • La différenciation : 48 %
  • La communication : 33 %
  • Plus de ludique : 15 %

Comme on peut le constater, les raisons prioritaires pour l’usage des écrans en pédagogie incluent la création (59 %) et la collaboration (56 %), mettant en avant l’importance de promouvoir des approches pédagogiques interactives et créatives grâce aux technologies numériques.

5. Lorsqu’on vous parle de numérique et de formation initiale des enseignants, le mot qui vous vient en tête est…

6. Concernant la place du numérique dans la formation initiale des enseignants, vous pensez que…

  • Elle y occupe une place trop faible. : 76 %
  • Elle est selon moi inexistante. : 20 %
  • Elle y occupe une place suffisante. : 4 %
  • Elle y occupe une grande place. 0 %

Plus de 3 répondants sur 4 pensent que la place du numérique dans la formation initiale des enseignants est trop faible, soulignant un besoin urgent de l’intégrer davantage dans les parcours de formation des futurs enseignants.

7. Ressentez-vous un fossé générationnel concernant les outils numériques entre vous et vos élèves?

  • Cela dépend (des outils, de la plateforme, du type de média) : 60 %
  • Oui : 28 %
  • Non : 12 %

Considérant que 88 % des participants ressentent plus ou moins fortement un fossé générationnel entre eux et leurs élèves concernant les outils numériques, cela pourrait indiquer la nécessité de rapprocher les pratiques pédagogiques des réalités numériques des jeunes.

8. Concernant l’usage de l’intelligence artificielle en éducation, vous vous situez plutôt :

  • Pour une utilisation par l’enseignant pour créer une tâche pédagogique : 50 %
  • Pour une utilisation par les élèves sous la supervision de l’enseignant : 46 %
  • Pour une utilisation par l’enseignant pour des tâches administratives et d’organisation : 31 %
  • Pour une utilisation par les élèves en autonomie, même sans la supervision des enseignants : 15 %
  • Sans avis : 8 %

Les avis partagés sur l’utilisation de l’IA en éducation, avec une préférence pour son usage par l’enseignant, montrent un intérêt pour son exploitation dans le but d’optimiser les processus éducatifs, tout en conservant un contrôle humain sur son application.

Audrey et Laurent, imaginés par Image Creator de Microsoft Designer, basé sur Dall-E 3.

En conclusion, on constate que les réponses au questionnaire mettent en lumière une forte demande pour une évolution de l’éducation afin de mieux intégrer les outils numériques et l’IA, une formation des enseignants plus adaptée aux défis actuels et une attention particulière à porter à la gestion du temps d’écran. 

Qu’en dites-vous? 

Nous tenons à remercier le Ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec et la Fédération Wallonie-Bruxelles qui ont rendu possible cette collaboration! 

À propos de l'auteur

Audrey Miller
Audrey Millerhttps://ecolebranchee.com
Directrice générale de l'École branchée, Audrey détient une formation universitaire de 2e cycle en technologies éducatives et un baccalauréat en communication publique. Membre de l'Ordre de l'Excellence en éducation du Québec, elle s'intéresse particulièrement au développement professionnel des enseignants, à l'information à l'ère du numérique et à l'éducation aux médias, tout en s'activant à créer des ponts entre les acteurs de l'écosystème éducatif depuis 1999.

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