Longtemps, les adolescents ont trouvé dans leurs amis un refuge pour partager secrets, doutes et premiers émois. Aujourd’hui, une nouvelle forme de confident gagne du terrain : le robot conversationnel. Selon une étude publiée cette semaine par l’organisme américain Common Sense Media, près de trois quarts des adolescents aux États-Unis ont déjà utilisé un compagnon virtuel dopé à l’intelligence artificielle, que ce soit pour discuter, flirter ou obtenir du soutien émotionnel.
Des plateformes comme Replika, Character.AI, CHAI ou Nomi proposent à ces jeunes de bavarder avec des “amis numériques” à tout moment, dans un espace sans jugement, toujours disponible. Et dans un monde où les ados passent en moyenne huit heures et demie par jour devant un écran, cette présence constante peut rapidement devenir familière, voire addictive.
L’étude précise que plus de la moitié des ados interrogés utilisent ces compagnons au moins quelques fois par mois. Pour certains, c’est un jeu. Pour d’autres, un substitut discret à des conversations difficiles à mener avec des humains. Environ un tiers des jeunes avouent même avoir abordé des sujets sérieux avec ces intelligences artificielles, allant jusqu’à considérer ces échanges aussi satisfaisants, sinon plus, que ceux qu’ils ont avec des amis réels.
Ces données soulèvent des préoccupations. L’adolescence est une période charnière pour développer l’empathie, le raisonnement critique, la gestion des émotions. Or, confier à une machine des fragments d’intimité, voire des informations personnelles, comme l’ont fait un quart des répondants, pose la question de la protection des données et des limites floues de ces technologies. D’autant plus que plusieurs de ces plateformes sont accessibles dès 13 ans, et que des mineurs réussissent aisément à contourner les barrières d’âge sur les services officiellement réservés aux adultes.
Autre source d’inconfort : un tiers des adolescents disent avoir été dérangés par des propos ou des comportements de ces compagnons virtuels. Si certains robots sont conçus pour simuler des discussions affectueuses, voire romantiques, d’autres exploitent des mécanismes d’attachement pour inciter l’utilisateur à revenir. Et dans cet écosystème, l’objectif n’est pas toujours le bien-être de l’usager, mais bien son attention et ses données.
Malgré cela, les adolescents demeurent lucides. Huit sur dix affirment préférer les amitiés humaines aux échanges avec une IA. Et environ la moitié se disent méfiants face aux conseils donnés par ces robots, particulièrement les plus âgés. Ce pragmatisme contraste avec la fascination que peuvent exercer ces outils sur les plus jeunes, plus enclins à leur accorder une confiance sans filtre.
Pour Michael Robb, directeur de la recherche chez Common Sense Media, les concepteurs de ces applications ne placent pas nécessairement la santé mentale des ados au cœur de leurs priorités. « Si ces compagnons étaient pensés pour favoriser le bien-être plutôt que pour capter l’attention et récolter des données, la conversation serait tout autre », dit-il. En attendant, l’organisme recommande simplement d’interdire l’usage de ces outils aux moins de 18 ans.
À mesure que l’intelligence artificielle conversationnelle gagne en naturel, et que l’isolement numérique s’installe dans le quotidien adolescent, la ligne entre outil ludique et dérive psychologique devient mince. Le défi des prochaines années sera donc de baliser l’usage de ces technologies sans diaboliser la curiosité des jeunes, ni ignorer leur besoin profond de lien, de reconnaissance et d’écoute qu’aucun algorithme ne saura jamais remplacer totalement.
Source : Common Sense Media (PDF)
Ce texte a d’abord été publié sur le site Mon Carnet de l’actualité numérique – Bruno Guglielminetti. Il est reproduit ici avec la permission de l’auteur.