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Protéger les élèves : Comprendre et combattre la cyberintimidation en milieu scolaire

Les caractéristiques propres à l’intimidation en ligne la rendraient encore plus dommageable sur le plan psychologique que celle qui se produit en personne. Il est donc important de ne pas la banaliser pour protéger nos jeunes. Nos collaborateurs Stéphane Villeneuve, Jérémie Bisaillon et Raoul Kamga dressent ici un portrait de la cyberintimidation, exposent ses facteurs de risque et de protection et proposent des ressources pour le personnel enseignant, développées dans le cadre d’une recherche.

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Par Stéphane Villeneuve, Ph.D., Professeur et expert en prévention de la cyberintimidation, UQAM
Jérémie Bisaillon, M.A., Candidat au doctorat, assistant de recherche et chargé de cours, UQAM
Raoul Kamga, Ph.D., Professeur et expert en intégration du numérique et de l’IA en éducation, UQAM

La cyberintimidation en milieu scolaire est un phénomène de plus en plus préoccupant, particulièrement dans une ère où les technologies numériques et notamment les réseaux sociaux, jouent un rôle central dans la vie des jeunes (Zhu, 2021). La cyberintimidation est un comportement intentionnel ou non commis via les technologies numériques (textos, médias sociaux, messagerie instantanée, jeux vidéos, etc.) qui implique un rapport de force (force du nombre, influence sociale, etc.), qui est répétitif (incluant partager, aimer ou même relire) et qui engendre des conséquences négatives réelles ou potentielles pour la personne visée. Les formes du phénomène peuvent varier, allant d’insultes et rumeurs, jusqu’aux menaces et à l’exclusion sociale virtuelle. 

Par la portée et la permanence des traces en ligne, les répercussions de la cyberintimidation peuvent être graves et durables, affectant la santé mentale des victimes. Dans ce contexte, la recherche sur la cyberintimidation en milieu scolaire est cruciale pour comprendre ce phénomène et développer des stratégies efficaces de prévention et d’intervention.

La cyberintimidation : un phénomène croissant

Avec l’essor d’Internet et l’accès accru aux appareils portables, la cyberintimidation est devenue un problème majeur dans les écoles à travers le monde (López-Meneses et al., 2020). Au Québec, 57 % des enfants auraient déjà vécu de la cyberintimidation (McAfee, 2022). De plus, des études récentes laissent croire que la prévalence du phénomène augmente annuellement. Chez les jeunes de 12 à 17 ans, la proportion de victimes de cyberintimidation est passée de 6,1 % en 2016-2017 (Institut de la statistique du Québec, 2018) à 13,2 % en 2022 (Institut de la statistique du Québec, 2024). 

Considérant que les jeunes passent davantage de temps en ligne (Académie de la transformation numérique, 2022) et avec l’usage accru de l’intelligence artificielle, il y a un risque que cette tendance s’accélère. Selon certaines recherches, les caractéristiques propres à l’intimidation en ligne la rendraient encore plus dommageable sur le plan psychologique que celle qui se produit en personne (Hinduja et Patchin, 2014; Sticca et Perren, 2013; Yang et al., 2021).

Facteurs de risque, facteurs de protection et conséquences

Sur le plan socioculturel, les élèves issus de la diversité seraient plus à risques d’en être victimes; sur le plan personnel, l’impulsivité, la condition psychologique, une expérience passée de victimisation et les comportements des élèves tels que l’usage excessif du numérique, des interactions avec des personnes inconnues et le partage d’informations personnelles peuvent augmenter le risque d’être victime de cyberintimidation.

L’empathie, la régulation émotionnelle, la mise en place d’un climat positif à l’école et en classe ainsi que l’établissement d’un sentiment de confiance entre les enfants et les adultes sont, par contre, des facteurs de protection.

Pour les victimes, les conséquences de la cyberintimidation sont variables. Elles peuvent nuire à l’estime de soi, provoquer de l’anxiété et même mener à la dépression ou engendrer des pensées suicidaires (Yang et al., 2021). Ainsi, à long terme, le phénomène peut entraver le parcours scolaire (p. ex., désengagement), le développement psychosocial, les relations interpersonnelles et peut affecter la transition vers l’âge adulte. Ces répercussions montrent l’importance de considérer la cyberintimidation non seulement comme un problème scolaire, mais aussi comme un problème de santé publique.

Les stratégies de prévention et d’intervention

Face à la gravité de la cyberintimidation, de nombreuses recherches se sont concentrées sur des stratégies de prévention et d’intervention. L’éducation au numérique en est une pour sensibiliser élèves, parents, enseignants et enseignantes. Les plans de lutte contre l’intimidation et la création en 2023 du Protecteur national de l’élève (PNE) qui a pour rôle de recommander des solutions à des situations complexes et non résolues, jouent un rôle crucial. 

Bien que les recommandations de cet organisme ne soient pas prescriptives, 90 % des recommandations sont appliquées. De plus, concernant les plans de lutte contre l’intimidation, leurs mises à jour en collaboration avec tous les acteurs concernés, y compris les parents, s’avèrent essentielles (Tozzo et al., 2022). On le sait, les technologies numériques, notamment les algorithmes d’intelligence artificielle, sont de plus en plus performantes et utilisées pour détecter et prévenir la cyberintimidation. Cependant, leur utilisation doit être éthique et complémentaire à d’autres interventions afin d’éviter les problèmes liés à la surveillance excessive qui peuvent affecter la vie privée et la confiance.

Les défis et les perspectives de la recherche sur la cyberintimidation

Bien que la recherche sur la cyberintimidation en milieu scolaire ait progressé au cours des dernières années, plusieurs défis persistent. Le phénomène ne se limite plus aux murs de l’école et peut se produire de manière anonyme. De plus, la rapidité avec laquelle les technologies évoluent rend certaines formes de cyberintimidation plus difficiles à détecter et à prévenir (p. ex., hypertrucage, messages éphémères). 

L’analyse des cas d’intimidation en ligne par les personnes chercheuses, éducatrices et enquêtrices est donc souvent plus complexe que celle qui se produit en personne. Un autre défi est la diversité des contextes culturels et sociaux. La cyberintimidation n’est pas toujours perçue de la même façon par tout le monde. Par conséquent, il est crucial que la recherche développe des approches contextualisées et adaptées à la réalité des jeunes.

Une recherche sur la cyberintimidation par et pour le personnel enseignant

Concernant les perspectives de recherche, plusieurs études se tournent actuellement vers les personnes agresseuses et témoins. Les interventions mises en place devraient tenir compte de ces personnes qui jouent un rôle central dans la réduction de la cyberintimidation. Un nombre grandissant de recherches porte également sur les initiatives dans les salles de classe. 

La plus récente recherche au Québec (Villeneuve et al., à paraitre) visait à recenser les pratiques enseignantes quant à la cyberintimidation et à développer des séquences d’apprentissage sur le phénomène auprès d’élèves du troisième cycle du primaire. 

Les résultats montrent que le personnel enseignant a besoin de ressources pédagogiques adaptées et à jour sur le phénomène de l’intimidation en ligne. Nous diffusons donc, depuis tout récemment, les activités produites par l’équipe d’enseignantes qui a participé au projet. Inscrites dans le cours Culture et citoyenneté québécoise, ces activités traitent de la cyberintimidation, mais également des compétences technologiques, sociales et émotionnelles qui y sont associées. Les résultats montrent que de telles activités contribuent à outiller les élèves pour faire face à la cyberintimidation. Ils permettent aussi de constater que du travail reste à faire pour les amener à dénoncer les situations problématiques qui surviennent, ce qui renforce la nécessité de les sensibiliser au sérieux de la situation et de ses conséquences. 

Conclusion

La cyberintimidation en milieu scolaire est un problème complexe et en constante évolution qui nécessite une attention soutenue de la part des personnes chercheuses, des directions d’école, du personnel enseignant, des parents et des gouvernements (Tozzo, et al., 2022). Grâce aux différentes recherches scientifiques, nous avons maintenant une meilleure compréhension des facteurs de risque, des conséquences, et des stratégies de prévention et d’intervention liés à ce phénomène. 

Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour développer des approches efficaces et adaptées à un environnement numérique en constante évolution. En continuant à explorer de nouvelles voies de recherche et en adaptant nos stratégies aux besoins des élèves et des écoles, nous pouvons espérer réduire la prévalence de la cyberintimidation et créer un environnement scolaire et extrascolaire plus sécuritaire et inclusif. Il faut donc garder l’œil ouvert!

Références 

Académie de transformation numérique. (2022). La famille numérique. NETendances, 13(6). https://transformation-numerique.ulaval.ca/wp-content/uploads/2023/02/netendances-2022-la-famille-numerique.pdf

Hinduja, S. et Patchin, J.W. (2014). Cyberbullying : Identification, Prevention & Response. Cyberbullying Research Center. https://cyberbullying.org/Cyberbullying-Identification-Prevention-Response.pdf

Institut de la statistique du Québec. (2018). Cyberintimidation durant l’année scolaire selon le sexe et le niveau scolaire, élèves du secondaire, ensemble du Québec et régions sociosanitaires de l’école, 2016-2017. Gouvernement du Québec. statistique.quebec.ca/fr/produit/tableau/3820

Institut de la statistique du Québec. (2024). L’intimidation et la cyberintimidation au Québec. Portrait à partir de l’Étude québécoise sur les rapports sociaux dans un contexte scolaire, de travail et dans la communauté 2022. Gouvernement du Québec. https://statistique.quebec.ca/fr/fichier/intimidation-quebec-eqrs-2022.pdf

López-Meneses, E., Vázquez-Cano, E., González-Zamar, M. et Abad-Segura, E. (2020). Socioeconomic Effects in Cyberbullying: Global Research Trends in the Educational Context. International Journal of Environmental Research and Public Health, 17. https://doi.org/10.3390/ijerph17124369.

McAfee. (2022). Enquête éclair sur le cyberharcèlement. https://media.mcafeeassets.com/content/dam/npcld/ecommerce/fr-ca/docs/fact-sheets/fs-cyberbullying-in-plain-sight-2022-frcanada.pdf

Sticca, F. et Perren, S. (2013). Is cyberbullying worse than traditional bullying? Examining the differential roles of medium, publicity, and anonymity for the perceived severity of bullying. Journal of youth and adolescence, 42, 739-750. https://doi.org/10.1007/s10964-012-9867-3

Tozzo, P., Cuman, O., Moratto, E. et Caenazzo, L. (2022). Family and Educational Strategies for Cyberbullying Prevention: A Systematic Review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19. https//doi.org/10.3390/ijerph191610452

Villeneuve, S., Jeffrey, D., Landry, N. et Stockless, A. (à paraitre). Quand la citoyenneté à l’ère du numérique s’invite à l’école : identification et évaluation de pratiques pour favoriser une utilisation éthique, responsable et réfléchie du numérique. Rapport de recherche. PROGRAMMES ACTIONS CONCERTÉES. Fonds de recherche du Québec – Société et Culture.

Yang, B., Wang, B., Sun, N., Xu, F., Wang, L., Chen, J., Yu, S., Zhang, Y., Zhu, Y., Dai, T., Zhang, Q. et Sun, C. (2021). The consequences of cyberbullying and traditional bullying victimization among adolescents: Gender differences in psychological symptoms, self-harm and suicidality. Psychiatry research, 306. https://doi.org/10.1016/j.psychres.2021.114219

Zhu, C., Huang, S., Evans, R., & Zhang, W. (2021). Cyberbullying Among Adolescents and Children: A Comprehensive Review of the Global Situation, Risk Factors, and Preventive Measures. Frontiers in Public Health, 9. https://doi.org/10.3389/fpubh.2021.634909

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