Par Julie April et Marjorie Paradis
Conseillères pédagogiques
Service national du RÉCIT dans le domaine du développement de la personne
Une mission de dépolarisation
La démarche proposée s’inspire largement du programme CCQ, dans lequel le rôle de la personne enseignante est de contribuer à « dépolariser les échanges en favorisant l’exploration et l’examen critique de différents points de vue. ». Toute une mission dans cette ère du numérique où la nuance peine à se faire entendre dans le vacarme des opinions polarisées.
Daniel Weinstock, (2023, 18 novembre), Pour une éthique de la délibération publique, Le Devoir.
Proposition de stratégies
Il serait donc bénéfique, collectivement, d’amener les élèves à s’exercer à la prise en compte d’une diversité de points de vue, à prendre du recul face aux réactions que certains sujets peuvent susciter, ainsi qu’à la pratique de la délibération. Le développement de ces aptitudes pourrait constituer une alternative prometteuse au débat, souvent très populaire en classe.
L’équipe du RÉCIT DP a développé quelques ressources didactiques pouvant contribuer à relever le défi du dialogue sur des sujets qui divisent. Voici quelques outils pouvant être utilisés en classe.
Stratégie no 1 – Reconnaître les réactions et émotions que suscite une situation
D’abord, il est possible (voire probable) que l’interdiction des cellulaires à l’école puisse susciter des émotions chez les élèves. Le Guide pédagogique pour aborder des sujets sensibles avec les élèves nous invite à mettre en place un contexte favorisant l’expression des émotions, des idées et des opinions.
Voici quelques réactions attrapées sur le vif dans une classe de 5e secondaire de la région de Québec :
« Je suis content de savoir que ma petite sœur va faire son secondaire sans cellulaire. »
« Je suis inquiète parce que je ne sais pas comment je vais passer au travers de l’heure du dîner avec mon anxiété sociale. Ma musique est mon refuge. »
« Quoi?! Même sur le terrain de l’école? On va juste aller dans les rues et arriver en retard encore plus souvent à nos cours. »
Déjà, il est possible de mettre les élèves au fait de certaines informations, notamment en ce qui concerne les exemptions liées à l’interdiction. Voici un petit support visuel qui pourrait vous être utile (version Google Slide / version PDF).
Stratégie no 2 – Comparer une diversité de points de vue
Pour plonger dans une réflexion rigoureuse sur un enjeu, il est essentiel d’amener les élèves à prendre un pas de recul face à leur propre position. Ainsi, il est nécessaire de les exposer à une variété de points de vue et aux repères sur lesquels ils s’appuient. Quelques points de vue sont rassemblés dans cette ressource.
Stratégie no 3 – Proposer des options ou actions possibles
Une fois que les élèves comprennent mieux la situation, une tâche authentique pourrait les amener à apporter leur voix dans la mise en place de l’interdiction.
À travers la pratique de la délibération, les élèves peuvent identifier des critères à considérer, des besoins et des idées pour une application réussie de l’interdiction des cellulaires. Pour organiser leur démarche et leur pensée, un canevas est disponible (consulter / créer une copie).
Pour atteindre cet objectif, voici quelques propositions de questions délibératives :
- Que faudrait-il absolument prendre en compte pour que l’interdiction des cellulaires soit juste et applicable dans les écoles du Québec?
- De quels critères devrait-on prioritairement tenir compte dans la mise en place de l’interdiction des cellulaires?
- Quels changements devraient être adoptés dans notre école pour que l’interdiction des cellulaires soit vécue de manière positive?
S’il est possible de laisser réfléchir les élèves à des critères à considérer, en voici quelques-uns qui pourraient leur être proposés :
- Besoins de divertissement et de détente des élèves;
- Développement de l’autonomie et de la pensée critique face au numérique;
- Réaliste à mettre en place en contexte scolaire;
- Accessibilité en cas de responsabilité familiale ou d’urgence;
- Implication des élèves dans la mise en place.
Considérant notre mission de dépolarisation, la délibération est une forme de dialogue qui a le pouvoir de susciter des échanges constructifs. Mcavoy et Hess (2013) soulignent même qu’elle est particulièrement importante pour la formation à la citoyenneté, car elle permet aux élèves de considérer la grande question « Comment pouvons-nous vivre-ensemble? ».
Contrairement aux débats où l’on cherche à défendre un point de vue, la délibération amène à partager des idées et à chercher une ou des solutions qui apparaissent plus raisonnables en considérant toutes les personnes impliquées.
Conclusion
Avouons-le, la mise en place de cette interdiction sera un défi. Toutefois, le groupe d’élèves avec qui nous avons eu l’occasion d’échanger a partagé des idées fort pertinentes :
« Il sera essentiel de considérer le respect des droits de la personne en offrant des alternatives aux élèves qui utilisaient leur téléphone cellulaire pour des besoins particuliers comme la gestion de l’anxiété. »
« Les élèves qui sont déjà vulnérables pourraient l’être encore plus durant cette transition. Entre autres, on pourrait remarquer plus d’absentéisme. »
« La musique sur l’heure du midi est importante pour les jeunes. Est-ce qu’il y aurait moyen de mettre des stations musicales dans l’école? »
Au-delà de son utilisation par les élèves, l’outil de délibération pourrait aussi guider un exercice pour ouvrir le dialogue au sein d’un équipe-école et intégrer l’ensemble du personnel dans les modalités à mettre en place.
« J’ai le droit »
Dans son article Que disent les droits des enfants sur l’interdiction du cellulaire à l’école?, Marie-Pier Jolicoeur met de l’avant l’un des principes des droits de l’enfant : celui d’être entendu et de participer. Elle souligne avec doigté qu’ « écouter les jeunes ne signifie pas leur accorder tout ce qu’ils souhaitent et mettre en œuvre seulement des mesures avec lesquelles ils sont d’accord. Cela signifie être à l’écoute constante de leur point de vue, de leurs besoins et de leurs arguments, et ne jamais perdre la voie du dialogue avec eux. »
Agir en cohérence avec ce principe, dans nos écoles, ne signifie pas d’adopter toutes les propositions avancées par les élèves (avoue-le, parfois couteuses ou simplement irréalisables !). Toutefois, le processus de dialogue proposé peut donner aux élèves l’occasion de nommer leurs besoins, d’appuyer leur pensée et de faire partie du changement.
Si le sujet de la délibération vous interpelle, voici un webinaire du Service national du RÉCIT, domaine du développement de la personne, sur le sujet.
Références :
Jolicoeur, M-P. (2025, 16 mai ) Que disent les droits des enfants sur l’interdiction du cellulaire à l’école?, Le Devoir. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/880387/disent-droits-enfants-interdiction-cellulaire-ecole
Mcavoy, P. et Hess, D. (2013) Classroom Deliberation in a Era of Political Polarization, Curriculum Inquiry. 43(1). 14-47. https://doi.org/10.1111/curi.12000
Weinstock, D. (2023, 18 novembre), Pour une éthique de la délibération publique, Le Devoir. https://www.ledevoir.com/societe/801988/ethique-deliberation-publique