Dès l’ouverture de la journée, celui qui était alors encore ministre de la Cybersécurité et du Numérique du Québec, Éric Caire, a souligné l’importance de prendre en compte la fracture numérique, un enjeu souvent éclipsé par les avancées technologiques comme l’intelligence artificielle. « La fracture numérique, c’est l’éléphant dans la pièce. Pendant que nous nous enthousiasmons pour les nouvelles technologies, nous laissons encore trop de gens derrière », a-t-il affirmé.
Une problématique multidimensionnelle
Une série de conférenciers ont ensuite présenté différents travaux visant à mieux comprendre la complexité du phénomène de fracture numérique (voir notre autre article à ce sujet). D’ailleurs, rapidement, l’ensemble des personnes présentes se sont mises d’accord sur le fait que plusieurs éléments doivent être pris en considération pour définir les inégalités numériques. Bref, le monde n’est pas divisé entre « connectés » et « non-connectés ».
En fait, il existe plusieurs niveaux de fractures :
- L’accès : Accès à Internet et à l’équipement informatique.
- Les usages : Niveau de littératie numérique, capacité à utiliser les outils.
- Les données : Biais dans les modèles algorithmiques et invisibilisation de certaines populations dans les statistiques.
Des facteurs démographiques, sociaux et économiques peuvent également amplifier les fractures. De fait, les groupes défavorisés sont les plus touchés, ce qui creuse davantage les disparités sociales. Les inégalités préexistantes sont mises en exergue par la numérisation croissante des services. C’est pourquoi plusieurs intervenants ont également insisté sur l’importance de maintenir des alternatives hors ligne pour garantir un accès équitable aux services.
« Il y a eu une prise de conscience qui s’est faite autour de la fracture numérique pendant la pandémie. Aujourd’hui, on observe une augmentation des impacts associés à l’exclusion numérique qui est directement lié à la diminution des services traditionnels », a souligné Karine Gentelet, professeure à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et associée à l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA).
« Il y a plus de personnes qu’on pense qui vivent avec des problèmes de littératie numérique. Les citoyens ont été laissés pour compte pendant trop d’années », a déploré
Claude Gillet, chargé de projet pour l’organisme Communautique. Celui-ci propose le programme PING!, offert dans plusieurs villes du Québec, qui permet de suivre 21 heures de formations de base. « C’est bien, mais ce n’est pas suffisant pour devenir un citoyen numérique à part entière », a-t-il ajouté.
« L’utilisateur moyen apprend des recettes dans des environnements numériques, mais n’a pas nécessairement de compréhension des outils technologiques qu’il utilise. Il suffit que quelque chose change dans une interface pour qu’il perde tous ses repères. »
Des initiatives pour une inclusion numérique
L’organisme Votepour.ca a présenté son projet Sentinelles numériques, qui vise à « renforcer les capacités des organisations à comprendre les réalités des populations qui vivent une situation de fracture numérique et comprendre leur rôle pour agir afin de les soutenir », a expliqué Marc Jeannotte, le directeur général de Votepour.ca. Il s’agit en fait de mieux outiller des organisations communautaires afin qu’elles puissent jouer un rôle de passeur numérique auprès des personnes vulnérables dans leur milieu.
Depuis 3 ans, de nombreuses consultations publiques ont été menées à Québec et Rimouski. Des ateliers et des café-discussions ont été organisés. Tous les échanges ont permis de mieux définir les visages de la fracture numérique. De ces consultations, 12 personas de personnes vulnérables et 13 postures à adopter (ex. détection, relais, accompagnement, influence) pour les aider ont été déterminés. Ceux-ci permettent de mettre un visage sur les enjeux numériques et de mettre en œuvre des pistes de solutions.
« L’un des constats est l’importance de placer le citoyen au cœur de la conception numérique pour assurer un accès universel et équitable aux services et à l’information », a soutenu M. Jeannotte. Il a aussi insisté sur les développements des compétences numériques tout au long de la vie : « Ce n’est pas parce qu’on maîtrise le numérique aujourd’hui que ce sera toujours le cas. Si on ne se met pas à jour, on risque de vivre une fracture numérique un jour ».
En après-midi, les participants ont vécu un atelier de coconstruction, en se basant sur les personas et les postures, afin d’entamer un processus de mise en commun et d’ébauche de solution. Parmi les faits saillants, on note :
- Toutes les organisations ont un rôle à jouer pour accompagner les personnes vulnérables numériquement.
- Il faut viser la collaboration entre elles et la complémentarité entre les initiatives pour s’assurer d’offrir du soutien au plus grand nombre.
- Le besoin initial devrait toujours primer dans le design de services numériques.
- Un certain leadership sera nécessaire pour faire progresser la littératie numérique dans la population.
- Le développement de compétences numériques doit se faire tout au long de la vie.
Une mobilisation nécessaire
L’événement s’est conclu sur un appel à la mobilisation collective. « Pour les organisations qui offrent des services en ligne, le citoyen ne devrait pas être considéré comme un client, mais comme un humain », a rappelé un intervenant, insistant sur la nécessité de concevoir des solutions inclusives et adaptées aux réalités des différents publics.
En dépit des nombreux défis, OFFnumérique a montré que des solutions existent et que l’action concertée de tous les acteurs est essentielle pour combler les différentes fractures numériques. Votepour.ca prévoit analyser l’ensemble des documents produits par les participants lors de l’atelier dans les prochaines semaines. Le directeur général annonce déjà d’autres activités de mobilisation à venir.