Karine Gentelet, professeure à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et associée à l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA), a mis en avant l’idée que la fracture numérique ne se limite pas à un manque d’accès aux technologies ou de compétences techniques.
En fait, elle touche différents aspects de la vie des personnes et peut être classée en trois grandes catégories :
- L’accès aux équipements et à la connexion Internet : Certaines personnes n’ont pas les moyens de posséder un ordinateur ou un téléphone intelligent. La qualité de la connexion Internet varie énormément selon les régions, créant une disparité géographique significative.
- Les usages et la littératie numérique : Même avec un accès à la technologie, l’usage du numérique reste inégal. Le niveau de compétence numérique varie grandement d’une personne à l’autre, influencé par des facteurs socio-économiques, culturels et éducatifs. Certaines personnes savent naviguer sur le Web, mais ne comprennent pas comment protéger leurs données ou repérer la désinformation.
- Les données et la représentation : La collecte et l’utilisation des données peuvent amplifier les inégalités. Les populations marginalisées sont souvent sous-représentées dans les bases de données, ce qui fausse les analyses et les décisions prises à partir de ces données. Cela devient à la fois une forme de fracture numérique et une conséquence d’autres formes de fracture numérique.
Pendant sa conférence, Mme Gentelet a soutenu que les fractures ne sont pas isolées les unes des autres et qu’elles se combinent et s’amplifient. Ainsi, une personne en situation de précarité économique aura plus de difficultés à acquérir des compétences numériques et sera plus susceptible d’être exclue des services en ligne. De plus, la numérisation croissante des services publics et privés renforce l’exclusion de ceux qui ne maîtrisent pas ces outils.
Les types de fractures numériques
Marie-Andrée Côté, chargée de projet pour l’organisme Votepour.ca, a ensuite présenté plus en détail chacune des catégories de fracture.
Le tout est tiré du rapport Fracture numérique : Les apprentissages d’une année de travail collaboratif.
L’accès au numérique
Le type de matériel :
- en fonction du type d’appareil et de la marque (PC, Mac, téléphone Android ou Apple, tablette, ordinateur portable, fixe),
- on n’a pas accès aux mêmes fonctions,
- on ne peut pas réaliser les mêmes tâches.
La qualité :
- de la connexion (Internet haute vitesse, données limitées, etc.)
- de l’équipement utilisé (équipement obsolète ou non, mise à jour possible ou non des applications, capacité d’ouvrir des documents)
L’autonomie d’accès :
- représenté par le lieu où la personne peut accéder à un appareil ou à une connexion Internet (maison, café, salle communautaire dans une résidence pour personnes âgées, bibliothèque, etc.)
- peut limiter l’autonomie si la personne doit se déplacer dans un autre lieu que sa résidence et en fonction des heures d’ouverture.
L’accessibilité universelle
- les barrières rencontrées par les personnes vivant avec des incapacités : motrices (souris, raccourcis clavier, commandes vocales absentes), sensorielles (site sans lecteur d’écran), cognitives (submergée par une interface trop complexe).
L’utilisation du numérique
Les compétences numériques
- Le niveau de compétences numériques n’est pas le même pour tous et aura un impact sur l’autonomie et la capacité de s’adapter aux nouvelles technologies.
- Certaines personnes ont acquis des compétences ciblées pour répondre à des objectifs précis plutôt que d’avoir développé une compréhension générale des technologies numériques qui leur donnerait plus de flexibilité dans l’usage.
Les bénéfices
- en fonction de l’utilisation qu’ils en font (ex. pour le travail, pour les études, pour les loisirs) et de leurs capacités à l’utiliser, certaines personnes retirent moins de bénéfices de l’usage de la technologie en comparaison avec d’autres personnes.
La confiance
- Une méfiance envers les technologies en général persiste chez certaines personnes.
- D’autres ressentent un sentiment d’insécurité envers les technologies (ex. protection des renseignements personnels et de la vie privée) ou redoutent la désinformation qui circule en ligne.
L’aspect psychologique
- Certaines personnes vivent des émotions négatives envers les technologies : l’anxiété, la peur de l’échec, la résistance au changement ou la stigmatisation.
L’intérêt
- Certaines personnes n’ont pas d’intérêt envers les technologies (ex. perception d’inutilité, priorités différentes). Bien que parfois ce manque d’intérêt s’explique par d’autres aspects comme le manque de confiance ou la résistance au changement, il peut également être uniquement lié à la technologie.
Tous ces éléments montrent bien la complexité du phénomène de fracture numérique et le fait qu’il faut s’attarder à différents aspects avant de mettre en place des services qui passent par les technologies numériques.
En complément : Un résumé de l’événement – OFFnumérique : une journée pour réfléchir à la fracture numérique
Crédit photo : Image par Gerd Altmann de Pixabay