Par Marc-André Girard et Margarida Romero
Contrairement à ce que plusieurs peuvent croire, l’intégration des TIC en classe n’est pas un acte réservé aux enseignants avec des compétences technologiques avancées. En effet, on a tendance à imaginer que ce sont les enseignants les plus « geeks » qui vont se ruer vers ces outils pour les intégrer dans leur enseignement, sur une base régulière. La décision de faire appel au numérique en classe est tributaire d’un ensemble d’attitudes qui reflètent les rapports à la technologie, certes, mais également ceux à la nouveauté avec tout ce que cela implique.
En 2001, le référentiel de la profession enseignante, mieux connu sous l’appellation des Douze compétences professionnelles en enseignement, avait défini une compétence professionnelle en lien avec l’intégration du numérique. Ainsi, la compétence 8, invitait les enseignants à « Intégrer les technologies de l’information et de la communication dans les situations d’apprentissage et d’évaluation afin de permettre de vivre des activités d’enseignement-apprentissage et d’évaluation ». L’intégration numérique était reconnue comme étant positive et nécessaire, dans un contexte dominé par la recherche d’information sur Internet et l’usage des logiciels de bureautique. C’était il y a plus de quinze ans!
Pertinence pédagogique plutôt que technocompétence
Depuis, les usages se sont diversifiés et la pédagogie a pris le pas sur le numérique. Ainsi, nous observons dans différentes écoles que les enseignants qui se sont emparés de la technologie sont souvent des innovateurs qui cherchent à améliorer leur enseignement, sans nécessairement afficher un profil plus « techno ». D’ailleurs, un peu comme le propose le changement du terme « technopédagogie » à « pédagonumérique », l’intégration du numérique en classe est avant tout une affaire de pédagogie et de compétences professionnelles orientées vers la qualité de l’expérience d’apprentissage. Pour l’enseignant, le numérique, à la différence du début du 21e siècle, n’est plus un objectif en soi, mais bien un levier de plus à considérer pour parvenir à ses fins pédagogiques.
Dans le contexte plus complexe et plus riche du développement des compétences du 21e siècle, il est évidemment impossible de « maîtriser » toutes les différentes technologies disponibles. À la place, il faut développer une approche plus critique et créative au regard des technologies avec lesquelles, à défaut d’être nécessairement en contrôle complet, les enseignants trouveront des usages pédagogiques pertinents pour prendre le risque d’expérimenter en classe.
Deux exemples : Minecraft et la robotique
Les enseignants soucieux d’améliorer leur enseignement et le processus d’apprentissage de leurs élèves, sont souvent en quête collective de différentes approches pouvant améliorer leurs pratiques. Dans cette quête, les échanges avec leur réseau d’apprentissage personnel (RAP) permettront aux professionnels de l’éducation, à travers divers partages d’expériences, d’identifier ensemble des usages du numérique qui leurs semblent pertinents. Et là encore, même s’ils ne se sont pas les personnes les plus « geeks » ou les plus connaissantes sur le domaine, les enseignants pourraient décider d’intégrer une nouveauté technologique en appui à leur démarche pédagogique. Prenons par exemple Minecraft : ce ne sont pas forcément des enseignants qui ont joué des nombreuses heures à des jeux vidéo qui vont, nécessairement, être les premiers à se lancer sur l’usage de Minecraft en classe. La décision d’intégrer un outil de (co)construction 3D comme Minecraft, répond souvent à une volonté de changement des pratiques et une appétence pour l’innovation pédagogique. Elle s’accompagne d’une curiosité et d’un intérêt pour travailler en amélioration continue et en réseau. Des enseignants ayant fait le choix d’intégrer Minecraft sont parfois totalement novices avec cet outil, mais font confiance au potentiel didactique de l’outil et croient aux apprentissages qui seront approfondis. Pour ce qui est des problèmes d’ordres techniques pouvant surgir, ils se fient sur leur expérience de tâtonnement, sur les tutoriels des plateformes employées ainsi que sur la capacité de leurs RAP et sur celle de leurs élèves à résoudre des problèmes technologique.
Dans le même ordre d’idée, imaginons l’arrivée d’une nouvelle trousse de robotique pédagogique. Pensez-vous qu’elle n’intéressera que les enseignants les plus technologiques? Au fait, ceux et celles qui adoptent une nouvelle trousse ne sont pas toujours les plus « technos », mais les plus enclins aux nouveautés pédagogiques (avec ou sans numérique). Bien que les enseignants qui disposent de plus de connaissances technologiques disposent certainement des éléments de base pour mieux manipuler une nouvelle trousse de robotique, si leur posture est celle de rester maître de la situation pédagogique dans laquelle ils souhaitent immerger leurs élèves, il est fort possible qu’ils prennent du temps à intégrer ladite trousse pour s’assurer qu’ils « maîtrisent » la technologie avant leurs élèves. Cela est bien connu : les enseignants n’ont pas le temps de tout maîtriser et il n’est pas toujours envisageable de vouloir prendre l’avance sur ses élèves en emportant le matériel à la maison pour s’investir dans des explorations en soirée ou la fin de semaine. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, vouloir « maîtriser » la technologie peut être ultimement un frein à son intégration en classe. Une posture différente est celle de l’enseignant-guide qui s’intéresse à la nouvelle trousse comme une opportunité pour « apprendre avec les élèves ». Ainsi, ce sont les enseignants les plus ouverts à la nouveauté qui sont souvent en mesure de conduire avec succès une activité de découverte avec leurs élèves et qui peuvent faire face aux interminables nouveautés technologiques de manière durable sans toutefois s’épuiser à vouloir tout « maîtriser ».