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L’intelligence artificielle signera-t-elle la fin de l’auteur? 

L’émergence de l’intelligence artificielle générative bouleverse notre rapport à l’écriture et relance le débat sur la place de l’auteur. S’inspirant de la théorie de Roland Barthes sur « la mort de l’auteur », l’IA remet en question l’autorité de celui qui écrit, au profit du lecteur. Dans ce texte, notre collaborateur Marc-André Girard explore des pistes pédagogiques pour intégrer l’IA à l’enseignement de l’écriture, en valorisant la réécriture, la collaboration et l’interprétation, plutôt que de craindre une simple tricherie.
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Par Marc-André Girard, directeur d’école secondaire et collaborateur de l’École branchée

L’émergence des grands modèles de langage comme ChatGPT suscite de nombreuses inquiétudes quant à l’avenir de l’écriture humaine. Ces inquiétudes se sont d’ailleurs rapidement transposées dans le cadre scolaire, puisque le potentiel de plagiat est bien réel. Une question de nature métaphysique s’impose alors : peut-on plagier ce qu’un robot génère? Peut-être serait-il plus juste de parler de tricherie. Qu’à cela ne tienne, revenons à la question de départ : l’IA peut-elle menacer l’écriture humaine?

C’est la réflexion que se posent plusieurs enseignants, une réflexion approfondie par David J. Gunkel, professeur à l’Université de l’Illinois du Nord, dans les pages du magazine Noéma. Gunkel s’appuie notamment sur l’argumentaire d’un ouvrage phare des années 1960, au titre sans équivoque : la mort de l’auteur, de Roland Barthes. 

Dans cet essai, Barthes met l’accent sur la primauté de l’interprétation du lecteur, plutôt que sur les intentions de l’auteur, pour comprendre le sens d’un texte. C’est, en quelque sorte, la fin de l’autorité absolue de l’auteur sur le sens de son œuvre. Selon cette vision, le sens d’un texte ne réside pas dans les intentions originales de celui qui l’a écrit, mais émerge plutôt de l’acte de lecture. Le lecteur devient alors créateur de sens, l’auteur n’étant qu’une construction sociale.

Gunkel soutient que les modèles de langage actuels incarnent parfaitement cette théorie. Ils produisent des textes cohérents, sans qu’une voix autoritaire ne soit derrière eux, révélant que les mots tirent leur signification des relations qu’ils entretiennent avec d’autres mots, plutôt que d’une quelconque intention d’auteur. Tout est là, dans sa forme littéraire la plus pure : ce qui est à comprendre ne puise son sens que dans l’esprit du lecteur. La personne qui aurait quelque chose à exprimer serait-elle désormais le lecteur, plutôt que l’auteur?

Gunkel met également le doigt sur une problématique fondamentale qui refait surface chaque fois qu’une nouvelle technologie entre dans le monde de l’éducation : d’un certain point de vue, ancré dans des modes de pensée traditionnels, ces technologies sont perçues comme une menace, voire une crise. Elles remettent en question notre compréhension même de l’enseignement, de l’apprentissage et des réalités scolaires, souvent déconnectées des réalités sociales. Dans cette même optique, si l’on souhaite réfléchir aux effets de l’IA sur le développement de la compétence en écriture, il s’agit aussi d’une occasion de dépasser nos conceptions traditionnelles de la didactique et de la pédagogie.

Voici quelques pistes pour saisir le potentiel rédactionnel de l’IA, tout en permettant aux élèves de développer leur compétence d’écriture :

  1. Saisir la portée sociale d’un texte généré par une IA, en permettant à l’élève de le réécrire selon son interprétation personnelle.
  2. Comparer cette interprétation à celle de ses camarades ayant fait le même exercice, pour susciter des échanges et des débats.
  3. Favoriser la réécriture collective, de manière à ce que le sens d’un texte généré par une IA émerge par la réception et la transformation, grâce à la collaboration entre élèves.
  4. Explorer l’intelligence hybride, soit la mise en commun des intelligences humaine et artificielle.
  5. Mettre en place des ateliers d’écriture axés sur le détournement de sens perçu des textes générés par l’IA. Ces ateliers peuvent aussi comporter des contraintes inspirées de l’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo), pour faire ressortir le caractère construit du langage.
  6. Utiliser l’IA comme soutien à l’écriture créative, que ce soit pour des textes d’opinion ou de fiction, en tirant profit de la rétroaction offerte rapidement et au moment choisi par l’élève.

Grâce à l’ouverture des enseignants à permettre l’utilisation de l’IA par les élèves, non seulement ces derniers sont-ils éduqués à s’en servir dans un contexte scolaire,  qui deviendra rapidement professionnel, mais on s’assure aussi d’encadrer cette utilisation par des règles claires, visant à faire croître l’agentivité du rédacteur, plutôt qu’à la réduire.

L’avènement de l’IA dans notre société représente une occasion de repenser notre rapport au texte et d’éduquer les élèves à ses usages valorisés. Cela leur permet de saisir des nuances fondamentales qui pouvaient leur échapper, tout en développant des compétences essentielles, en utilisant de façon réfléchie des outils puissants.

Pour faire un clin d’œil à Gunkel : l’IA ne tue pas l’auteur… elle en révèle d’autres!

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