Par Martine Rioux
À l’occasion de l’événement Ludovia#BE 2025, la chercheuse Géraldine Wuyckens (UCLouvain) a présenté une démarche pédagogique originale : le design fiction à des fins critiques. Inspirée de récits de science-fiction et d’outils de design spéculatif, cette méthode pédagogique place les élèves dans un rôle actif d’explorateurs du futur. Le principe : imaginer un objet technologique fictif contextualisé pour ensuite questionner ses impacts sociaux, politiques, culturels ou éthiques.
« C’est en créant des objets qui n’existent pas qu’on peut mieux interroger ceux qui existent déjà », résume la chercheuse, qui a mené sa thèse en collaboration avec l’association belge Action Médias Jeunes. Selon elle, loin d’être un simple exercice de créativité, le design fiction devient un levier pour développer la pensée critique, à travers ce qu’elle nomme le questionnement critique, soit la capacité à poser des questions pertinentes sur les usages numériques, les valeurs qu’ils véhiculent et les responsabilités qu’ils impliquent.
Imaginer, critiquer, débattre, militer
Dans le cadre de son projet Futurs possibles, Géraldine Wuyckens a testé une séquence pédagogique en six étapes avec des classes de 3e secondaire. Les élèves commencent par une introduction aux nouvelles technologies (intelligence artificielle, algorithmes…), puis passent à la création d’un objet futuriste en réponse à un problème actuel. L’objet est ensuite mis en scène dans des stories Instagram, analysé dans une fausse conférence de presse, réinventé dans une bande dessinée, puis critiqué dans un débat télévisé fictif. Chaque étape fait progresser la réflexion.
Le projet ne s’arrête pas à la salle de classe. Il s’est décliné sous une forme allégée dans le projet Le futur, c’est maintenant, un outil destiné à être animé auprès de jeunes de 14 ans et plus, en contexte parascolaire. Les ateliers y sont construits autour de quatre rôles : créateur, journaliste, citoyen et militant. L’objectif reste le même : ouvrir le dialogue sur les technologies et leurs effets sur la société.
Quand les élèves créent… pour mieux réfléchir
Un exemple : NudiStop, une application fictive imaginée par des élèves pour sécuriser l’envoi de photos intimes (nudes). Dans le scénario des jeunes, l’application flouterait automatiquement toute image partagée sans consentement et signalerait publiquement l’expéditeur.
Bien que purement spéculative, cette invention soulève des enjeux très concrets : éthique, vie privée, consentement, justice… Et c’est justement en confrontant les jeunes à ces dilemmes qu’on développe leur sens critique, sans jamais imposer une réponse unique, indique Géraldine.
« Le design fiction ne cherche pas à donner des solutions toutes faites, mais à poser les bonnes questions. C’est une approche par les problèmes », rappelle Géraldine Wuyckens. Loin des discours culpabilisants ou technophobes, il s’agit d’accompagner les jeunes dans la construction de leur regard citoyen sur le numérique.
En plus de stimuler l’imagination, le design fiction ouvre des discussions trop rares à l’école : l’influence des algorithmes, la place de la surveillance, l’impact environnemental des technologies ou encore les inégalités d’accès au numérique. Il permet aussi de réfléchir aux pratiques médiatiques des élèves, dans leur réalité quotidienne.
L’outil « Le futur, c’est maintenant » est en accès libre sur le site de l’association Action Médias Jeunes.
L’École branchée remercie l’Agence du numérique éducatif (AdN) de la Wallonie et le Ministère des Relations internationales et de la francophonie du Québec, dans le cadre du 13e appel à projets Québec – Wallonie-Bruxelles, pour la biennie 2024-2026, pour avoir permis la participation à cet événement et la réalisation de ce reportage.






