En 2022, la Fondation pour l’alphabétisation du Québec a mis à jour son indice de grande vulnérabilité pour plusieurs villes du Québec. « La “grande vulnérabilité”, additionne deux phénomènes de précarité, soit la pauvreté sociale, comme un faible niveau de littératie, et la pauvreté économique, soit un faible pouvoir d’achat », explique Pierre Langlois.
Le calcul de cet indice révélait qu’en 2022, 8 % de la population québécoise âgée de 15 ans et plus vivait dans une situation de pauvreté, contre 6 % en 2016. Cette augmentation représente environ 155 000 personnes supplémentaires en situation de grande vulnérabilité. Uniquement dans la ville de Québec, le taux est passé du 4,6 % à 7 % en 5 ans. « Rien n’indique que la situation pourrait s’améliorer à court terme. Au contraire, la hausse du coût de la vie a provoqué un rebond de la précarité financière ».
L’économiste précise que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déjà établi que, sans aide externe, il est pratiquement impossible de rompre la spirale de précarité dans laquelle se trouve un individu. Ainsi, il est convaincu que les milieux scolaires ont un rôle à jouer pour briser la spirale dans laquelle se trouvent certains jeunes, du moins pour réduire la pauvreté sociale et améliorer la littératie.
Le lien entre la littératie et le décrochage scolaire
Au Québec, 53 % de la population a une littératie sous le niveau 3, celui-ci étant la capacité à « lire des textes denses ou longs nécessitant d’interpréter et de donner du sens aux informations ». Le pourcentage grimpe à 85 % chez les personnes qui sont sans diplôme; de là, l’importance de lutter contre le décrochage scolaire.
« Ce pourcentage pourrait atteindre 95 % selon nos estimations dans les prochaines années. Le fait est que le niveau de littératie nécessaire se complexifie dans notre société de plus en plus numérique », indique Pierre Langlois. Ainsi, avec la montée de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies, une partie importante de la population risque de se retrouver avec de nouveau enjeu de littératie. « Avoir une faible littératie fait en sorte qu’il est plus difficile de distinguer le vrai du faux, d’accéder aux bonnes sources d’information, d’utiliser des outils numériques », prévient Pierre Langlois. En ce sens, la littératie devient un enjeu de société et citoyenneté, particulièrement dans un monde où les plateformes numériques s’inscrivent dans le quotidien et où la désinformation est omniprésente, croit-il.
Les bons coups des autres provinces canadiennes
Les statistiques québécoises sont moins positives que celles des autres provinces canadiennes en matière de littératie et de diplomation. C’est ainsi que Pierre Langlois affirme que les systèmes éducatifs québécois auraient tout avantage à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs au pays pour lutter contre le décrochage scolaire et s’assurer que les jeunes atteignent un niveau de littératie suffisant.
Parmi les « bons coups » des autres provinces, il a donné plusieurs exemples de l’Ontario, comme la présence d’un Secrétariat de la littératie au sein du ministère de l’Éducation et le fait que l’examen de littératie ministérielle s’y fait en 9e année permettant aux élèves en difficulté de se reprendre avant la fin de leurs études secondaires. Au Québec, cet examen ministériel arrive en 5e secondaire et peut retarder le parcours scolaire de ceux qui l’échoue, devenant un frein à la diplomation.
Par ailleurs, il a rappelé qu’au Nouveau-Brunswick, en Ontario, au Manitoba et au Nunavut, la scolarité est obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans ou jusqu’à l’obtention du diplôme d’études secondaires. Ce n’est pas la première fois que la Fondation de l’alphabétisation formule cette recommandation pour le Québec.
Pierre Langlois a aussi fait état d’une autre recommandation déjà amenée par la Fondation pour favoriser une meilleure littératie des Québec, soit de rendre le diplôme d’études secondaires (DES) préalables aux études professionnelles. « Je sais que le passage à la formation professionnelle sans DES a été un outil pour contrer le décrochage scolaire chez les jeunes au Québec. Mais devant la stagnation du niveau de littératie, il est permis de se demander si c’est réellement une bonne chose ». Minimalement, il pourrait être bénéfique d’ajouter un enseignement en littératie (et autres compétences de base) à la formation professionnelle et à l’éducation aux adultes, croit-il.
Il ajoute : « Au Québec, le programme scolaire est condensé sur 11 ans au lieu de 12 ailleurs au Canada. Or, on observe que c’est souvent, entre 15 et 17 ans, que l’on perd nos jeunes. Bref, il a des réflexions à avoir et on a beaucoup de beaux exemples dans les autres provinces canadiennes desquels on pourrait s’inspirer. »
Vers une éducation plus flexible et adaptée?
Finalement, des discussions avec les personnes qui assistaient à la conférence ont fait ressortir d’autres pistes de solution, notamment la nécessité d’adapter davantage le parcours scolaire proposé au Québec. Il a été suggéré de rendre les parcours de formation plus flexibles et personnalisables par les élèves afin de leur offrir des choix plus adaptés à à leurs besoins et à la réalité d’aujourd’hui.
La conférence était présentée dans le cadre des États généraux de l’éducation adaptée (secondaire, FGA, FP et post-secondaire) qui se sont tenus le 18 février 2025. Consulter la programmation.