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Culture scientifique : Quand je rêve parfois…

Réflexion sur l'initiation à la science des élèves du préscolaire et du 1er cycle. Que doit-on chercher à leur transmettre?

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Réflexion sur l’étude des sciences par les élèves du préscolaire et du 1er cycle. Quelques exemples tirés de l’histoire des sciences visent à rappeler la diversité des qualités qui mènent aux découvertes scientifiques. Que doit-on chercher à transmettre à l’élève au moment de son initiation à la science?

Quand je rêve parfois…

…je songe aux scientifiques d’autrefois et je me questionne.  Il y a-t-il une unique façon d’initier mes jeunes élèves à la science et à la technologie?

Quand je rêve parfois… je suis un pâtre grec.  La nuit venue, le spectacle des étoiles me distrait. J’aime le rythme cyclique de la Lune et celui des saisons où les nuits sont parfois plus longues, parfois plus courtes. Mon frère règle ses plantations sur ces primitives observations et mon cousin voyage sur la mer, guidé par le Soleil, la Lune, les planètes et les étoiles, tel Ulysse conseillé par la déesse Calypso.  Ai-je gravé sur une plaque d’argile ces constellations que je me suis amusé à nommer?  Est-ce que je pensais comme Aristote que la Terre était au centre de l’univers ou comme Aristarque de Samos je considérais le Soleil comme le centre du monde, mille ans avant la révolution Copernicienne, mais ignoré de tous. Puis vinrent Galilée, Tycho Brahé, Johannes Kepler, suivis de nombreux autres.  Des millénaires à la suite des premières observations, par avancées et reculs, hypothèses, théories et inventions, on semble maintenant voir la naissance de notre univers visible, il y a 13,8 milliards d’années au fond diffus cosmologique.  C’est la théorie du Big Bang.  Et on observe et on crée de meilleurs instruments et on discute de problèmes et de théories.

Que m’apprend cet exemple de ce qu’est la science, c’est-à-dire la découverte d’objets, de phénomènes, de tentative d’explication de ces derniers et de ce qu’est la technologie, c’est-à-dire l’invention d’outils, d’instruments pour offrir à nos pauvres sens limités une sensibilité exponentielle et à notre corps fragile la puissance et la rapidité qu’il lui manque?

Est-ce l’outil qui fait la découverte et l’invention ou la sensibilité, la curiosité, l’intelligence et la créativité de l’être humain? Comment traduire cette question pour mes élèves nés à l’ère du numérique?

 

Quand je rêve parfois…  je tente de comprendre la matière.  L’atome, du grec ancien «atomos» : «qui ne peut pas être divisé». C’est la théorie atomiste. J’imagine  être Antoine Laurent de Lavoisier, je conçois une nomenclature chimique.   Je définis «l’élément» : une substance qui ne peut pas être décomposée par aucune méthode connue d’analyse chimique et j’en nomme quelques uns : l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, le phosphore, le mercure.

Un autre jour, j’imagine être Dmitri Mendeleïev.  Soixante trois éléments étaient connus à mon époque.  J’ai cru percevoir une forme d’organisation entre ces éléments.  Un jour après avoir joué aux cartes, j’ai eu cette brillante idée. J’ai fabriqué un petit carton pour chaque élément où j’ai noté leur symbole, leur masse atomique et leurs propriétés physiques et chimiques.  J’ai placé ces cartons sur une table en ordre ascendant de masse atomique et j’ai rassemblé les éléments qui avaient des propriétés semblables.  J’ai vu qu’il y avait des trous dans mon montage. Je me suis dit qu’il y avait probablement de nouveaux éléments à découvrir. Et j’avais raison.

Ces rêves me rappellent que nomenclature et classification forment la référence qui fait autorité pour chacune des disciplines scientifiques ou techniques. Elles permettent de nommer les objets sans ambiguïté et aux membres de la communauté de communiquer avec assurance quelle que soit leur langue d’origine. La nomenclature est une création fonctionnelle. Est-ce important d’informer mes jeunes élèves de cette fondamentale création de l’être humain?

Dans mes rêves, j’ai été Louis Pasteur, cet être déterminé à qui plusieurs d’entre nous doivent la vie.  Suite à ses études sur les fermentations, il est convaincu de la fausseté de la «théorie de la génération spontanée» alors admise par les sommités scientifiques de son époque. Six ans de travail lui ont permis de réfuter la théorie de la génération spontanée : les poussières de l’atmosphère contiennent des «germes», de minuscules organismes qui peuvent se multiplier en milieu favorable. Cependant, si après avoir chauffé les substances putrescibles, on les laisse à l’abri de l’air, on évite la contamination.  Pasteur favorise l’usage de l’asepsie en médecine et conseille la stérilisation des instruments.  Il crée les mots «pasteurisation», «aérobie» et «anaérobie» et il invente les vaccins. Il est considéré le père de la microbiologie.  Être scientifique demande parfois avoir l’esprit «révolutionnaire», s’élever contre les idées admises et faisant consensus.   Mais est-ce suffisant d’être critique? Voilà un sujet d’intérêt à discuter avec mes jeunes adolescents.

Quant je rêve être Alexander Fleming, je rigole. On dit qu’il avait le défaut d’être désordonné et négligent. Au retour de ses vacances, il découvre qu’un champignon avait contaminé beaucoup de ses boîtes de culture de staphylocoques.  C’est en les montrant à un visiteur qu’il observa qu’il y avait une zone autour des champignons où les bactéries ne s’étaient pas développées.  Il identifia ce champignon comme appartenant à la famille pénicillium et le nomma pénicilline. Ce fait s’est produit en 1928.  Il a fallu plusieurs années et une solide équipe de recherche pour qu’enfin Howard Florey,  Ernst Chain et Norman Heatley transforment aux environs de 1942, cette découverte de laboratoire en un médicament efficace.  Le mot «sérendipité», créé à partir de l’anglais serendipity , s’applique aux très nombreuses découvertes faites par accident, erreur, hasard.  Par mégarde on découvre autre chose que ce que l’on cherchait mais comme disait Louis Pasteur : « Le hasard ne favorise l’invention que pour des esprits préparés aux découvertes par de patientes études et de persévérants efforts»  Cette phrase devrait-elle être un leitmotiv de mon enseignement?

Quand je rêve parfois . . . à être moi-même chercheur, quel cauchemar!  On imagine que la méthode de travail du scientifique est unique et bien codifiée. Je sais l’importance accordée à la méthode expérimentale, le fameux OHERIC de Claude Bernard.

Mais les quelques exemples ci-dessus, extraits de l’histoire de la science, illustrent que diverses façons de faire s’appliquent aux circonstances de la recherche.  Il n’existe pas de recettes magiques pour produire de nouvelles connaissances.  Mais cette recette, la méthode expérimentale permet par contre de vérifier certains faits, certaines hypothèses. C’est donc important que mes élèves la connaissent, sachent l’utiliser.

Quand je rêve parfois… que je suis responsable de l’étude de la science et de la technologie par les élèves du primaire et du premier cycle du secondaire, je réfléchis au fait que c’est grâce à son intelligence que l’être humain a compris de plus en plus intimement le fonctionnement de son environnement physique et a inventé une multitude d’applications de ces savoirs, plus brillantes, plus satisfaisantes les unes que les autres.

C’est l’acuité des observations, la rigueur de la pensée et la créativité des scientifiques du passé et du présent qui ont mené et mènent encore quasi quotidiennement à la sophistication de la société que l’on connaît.

Quand je rêve parfois…  que je suis responsable de l’étude de la science et de la technologie  j’imagine une analogie. Suivre toutes les parties de Bleus et en connaître les statistiques ne fait pas de l’élève un bon joueur de football. Il doit avoir une intelligence de jeu oui, mais aussi savoir bouger rapidement, utiliser l’espace de jeu, apprendre le geste technique de la passe et de la frappe, viser le filet avec précision, savoir déjouer le gardien et quoi d’autres.  Quelque soit le sport ou l’activité physique, leur bienfait réside dans la pratique.

En serait-il de même pour la science et la technologie?  L’acquisition d’une montagne de connaissances scientifiques fait de l’élève un être cultivé et favorise le développement de la mémoire.  Cependant la science est le résultat de l’évolution de l’intelligence humaine  et demande l’usage d’une foule d’habiletés tant physiques et qu’intellectuelles.

 

C’est dans ce contexte que depuis les années 70, on tente de développer l’esprit scientifique des élèves. Nous sommes alors passés d’une école de savoirs vers une école de savoir-faire. L’accent a été mis sur les habiletés et les attitudes qui caractérisent le travail scientifique.  Pourtant, très rapidement à l’usage, nous avons escamoté les habiletés et insisté sur la «démarche scientifique».

L’élève doit maintenant apprendre selon une démarche de résolution de problèmes. Puis-je croire sérieusement qu’en quelques périodes de classe, ces petites équipes d’élèves de 6 ans, 8 ans, 11 ans  ou 14 ans sauront trouver réponse à un problème de nature scientifique ou technologique? Mes élèves doivent-ils, peuvent-ils réinventer la roue?  Après tout il a fallu plus de cinq millénaires à nos ancêtres pour atteindre le niveau de connaissances actuel!  Soyons honnête, nombre d’entre eux feront des recherches dans des livres ou sur Internet pour découvrir une vérité toute faite qu’ils mémoriseront bien sagement en vue d’un examen ou pour la présenter  devant la classe sous la forme d’un résultat de recherche originale.  Ou alors, je ferai apprendre la lecture à mes petits élèves par des textes à contenu scientifique ou technologique, faisant ainsi d’une pierre deux coups.

Au XIXº siècle, il y avait peu de livres et la connaissance du monde matériel était moins avancée qu’elle ne l’est aujourd’hui.  Maintenant nos élèves vivent au sein d’une mer d’information, les bibliothèques et les librairies regorgent d’ouvrages encyclopédiques, la télévision offre quantité d’émissions à caractère scientifique ou technologique et le Dieu Internet est là pour répondre à toutes les questions.  Dans ce contexte d’abondance comment devrait se présenter l’approche de la culture scientifique par mes élèves en formation initiale?

Que dois-je leur transmettre, le savoir scientifique, la pensée scientifique, la méthode scientifique? Qu’est-ce que l’étude de la science et de la technologie devrait leur apporter? Comment puis-je dépasser le niveau des connaissances et rechercher leur développement intellectuel?

Je n’appartiens pas au groupe La main à la pâte ni celui des Savanturiers, mais je supporte entièrement leur approche de « L’enseignement des sciences fondé sur l’investigation ». Par contre, cette pédagogie de projets qui permet à l’élève d’apprendre à apprendre présente le danger d’un éparpillement des connaissances sans lien les unes aux autres.

Quand je rêve parfois… je prends conscience que la science connue est le résultat d’un long processus d’observations, de questionnement, d’imagination et de rigueur intellectuelle.   L’étude élémentaire des sciences ne devrait-il pas permettre à l’élève (et aussi à son maître) de se construire un cadre conceptuel, une carte intellectuelle qui l’aidera à s’orienter sur cette mer d’information où il rencontrera parfois des dragons et des sirènes?

Quand je rêve parfois… je tente d’imaginer un programme d’étude holistique, non disciplinaire, à l’image de la nature et de la technologie où l’élève s’attarde à l’étude de tous les domaines scientifiques. J’imagine qu’en fin de parcours il comprendra l’interaction entre les forces, l’énergie, la matière et la vie biologique et sera éveillé aux lois qui régissant ces domaines.  Je rêve aussi qu’il prendra conscience de la neutralité de la nature, de la science et de la technologie et de sa responsabilité d’être humain face à ses découvertes.

 

Une version de ce texte a été publié dans Spectre, vol. 43, no 3, la revue de l’AESTQ, mai 2014

À propos de l'auteur

Ninon Louise Lepage
Ninon Louise Lepage
Ninon Louise LePage est pédagogue et muséologue récemment sortie d’une retraite prématurée pour renaître comme désigner pédagogique. Elle a enseigné à l'Université du Québec à Montréal et à l'Université de Sherbrooke en didactique des sciences, en plus de travailler au Réseau canadien d'information sur le patrimoine comme expert-conseil en muséologie. Elle écrit également pour nos amis français chez Ludomag. Elle invite par ailleurs tous les intéressés à la contacter afin qu’elle parle de vous, vos élèves, votre école et vos expériences particulières en éducation au numérique et à l’informatique.

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