Animé par Marc-André Girard, directeur d’école et chercheur, et Gabrielle Juneau, directrice du développement chez Apple Éducation Canada, l’atelier proposait une réflexion sur l’école d’aujourd’hui et les compétences à développer.
Une école en décalage
Les deux présentateurs ont d’abord mis en lumière les tensions qui existent dans le monde scolaire : entre un paradigme traditionnel de l’enseignement, centré sur la transmission de savoirs, et un paradigme de l’apprentissage, qui valorise la co-construction des connaissances, la collaboration et la transférabilité des acquis. Ils ont rappelé que l’école actuelle repose encore sur des structures héritées des siècles passés, alors que les milieux professionnels et sociaux, eux, ont largement amorcé leur virage numérique.
Malgré les discours sur l’innovation, la transformation numérique dans les écoles demeure cinq fois plus lente que dans les autres secteurs professionnels (Renz, Krishnaraja et Groneau, 2020). Un ensemble d’obstacles structurels et culturels freine cette évolution : manque de ressources, d’accompagnement, de formation, culture organisationnelle, ou encore résistances liées à des croyances éducatives persistantes.
Les pratiques enseignantes (sphère interne) :
- Sont influencées par les enseignants marquants de notre parcours scolaire et postsecondaire;
- Sont influencées par les stéréotypes véhiculés par la société et les médias;
- S’inspirent de nos valeurs personnelles, notre vécu et nos croyances;
- Évoluent au gré de nos perceptions et de nos émotions.
(Korthagen et Vasalos, 2005)
Les pratiques enseignantes (sphère externe) :
- Sont influencées par la culture de l’établissement scolaire;
- Sont influencées par la culture du groupe (équipe-niveau ou matière);
- Pratiques adoptées de façon tacites, sans questionnement. Remise en question = résistance.
(Sharpe et Armellini, 2020)
Par ailleurs, ils ont invité les participants à penser d’abord aux jeunes et au parcours qu’ils s’apprêtent à suivre.
Deux modèles pour éclairer l’action
Marc-André et Gabrielle ont présenté deux modèles complémentaires visant à soutenir l’intégration du numérique en éducation : le modèle C21s de Margarida Romero, axé sur le développement de compétences transversales pour résoudre des problèmes complexes, et le cadre européen DigCompEdu, qui structure les compétences numériques professionnelles des enseignants.
Le modèle C21s (Romero, 2016)
Ce modèle identifie cinq compétences clés pour évoluer dans un monde numérique :
- La pensée critique : capacité à exercer un jugement éclairé face à l’information;
- La collaboration : savoir interagir dans des contextes ambigus et changeants;
- La résolution de problèmes : mobiliser créativité et méthode;
- La créativité : produire de nouvelles idées adaptées au contexte;
- La pensée informatique : organiser et modéliser des processus cognitifs en lien avec les outils numériques.

Le DigCompEdu (Redecker, 2017)
Peu connu au Canada, ce cadre européen propose une approche systémique du développement des compétences numériques des enseignants. Il regroupe six domaines :
- Engagement professionnel,
- Gestion des ressources numériques,
- Enseignement et apprentissage,
- Évaluation,
- Soutien aux apprenants,
- Développement des compétences numériques chez les élèves.
Utilisable à des fins d’autoévaluation, de formation continue ou de planification stratégique, il offre une base structurée pour guider le développement professionnel du personnel éducatif.
Repenser l’environnement pédagonumérique
Pour favoriser une intégration durable du numérique en éducation, les conférenciers ont insisté sur la nécessité de créer un environnement pédagonumérique capacitant : un cadre cohérent, soutenu, et centré sur les besoins réels des enseignants et des élèves.
Cela passe notamment par une meilleure compréhension des freins internes, souvent liés à l’identité professionnelle, aux valeurs et aux croyances. À ce titre, la démarche de réflexion « au cœur » (Core reflecion) (Korthagen, 2004) est proposée comme outil pour accompagner les éducateurs dans leur transformation numérique. Elle met l’accent sur l’alignement entre les actions d’une personne, ses valeurs profondes, ses idéaux, son identité professionnelle… et l’environnement.
Une transition à mener collectivement
Plutôt que de culpabiliser les milieux scolaires pour leur retard, les conférenciers plaident pour une approche bienveillante, réaliste et collective. La transition numérique ne peut se faire sans outils, sans soutien, ni sans une vision partagée de ce que signifie enseigner et apprendre au 21e siècle. Il n’y a pas de recette unique et chaque milieu devra trouver ses façons de faire.
« L’école n’évolue pas en vase clos, rappellent-ils, mais elle a besoin d’un cadre et d’un accompagnement cohérents pour relever les défis de notre époque. »
En complément : Un dossier de Marc-André Girard sur les 6 catégories d’obstacles à l’intégration du numérique
- Obstacle 1 : Les difficultés d’accès aux ressources
- Obstacle 2 : Le manque de connaissances et de compétences
- Le manque de connaissances ou de compétences fonctionnelles
- Le manque de connaissances ou de compétences pédagonumériques
- Le manque de connaissances ou de compétences en gestion de classe
- Obstacle 3 : La culture scolaire et disciplinaire
- L’empreinte professionnelle
- L’influence de la culture disciplinaire
- L’environnement scolaire
- Obstacle 4 : Les croyances enseignantes
- L’évaluation
- Obstacle 5 : L’illectronisme ou les fossés contagieux
- Obstacle 6 : Les outils qui deviennent des obstacles