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L’avenir de l’école à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle : une réflexion de Marcel Labelle

Marcel Labelle est l’un des fondateurs de l’Association québécoise des utilisateurs d’outils technologiques à des fins pédagogiques et sociales (AQUOPS). Il sort de la retraite à l’occasion pour nous proposer des réflexions sur le monde de l’éducation. Aujourd’hui, il aborde l’avenir de l’école à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle. Il se demande si nous saurons relever les défis collectifs qui sont devant nous. Voici sa réflexion. 
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Table des matières

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Collaboration spéciale 

Par Marcel Labelle, Père fondateur de l’AQUOPS

Depuis le décès de Guy Rocher, penseur majeur dont l’empreinte en éducation est indéniable, la nécessité d’actualiser le rapport Parent s’impose plus que jamais pour 2025. Qui osera s’y atteler? 

Depuis les années 1980, les compressions budgétaires, la gestion de la décroissance des effectifs puis, plus récemment, les tensions liées au financement public, ont fragilisé le système.

  • coupures de services;
  • surcharge des classes;
  • solutions temporaires imposées au détriment de la pédagogie.

Ces contraintes réapparaissent aujourd’hui sous d’autres formes : manque d’enseignants qualifiés, dépendance aux ressources numériques sans planification, difficulté à financer l’innovation.

Le corps enseignant

Autrefois jeune et en expansion, le corps enseignant est aujourd’hui confronté à :

  • un vieillissement démographique, combiné à une pénurie marquée de relève;
  • un taux élevé de décrochage professionnel chez les jeunes enseignants;
  • un épuisement généralisé, accentué par la pandémie, la surcharge administrative et les attentes sociétales;
  • une dévalorisation de la profession, visible dans l’opinion publique comme dans l’attractivité des carrières.

Le bénévolat et le surengagement

Malgré ces obstacles, beaucoup d’enseignants réalisent des miracles pédagogiques. Par leur créativité et leur engagement, ils introduisent des méthodes actives, utilisent les outils numériques de manière innovante, personnalisent les apprentissages. Mais ce travail repose trop souvent sur un surcroît d’effort individuel, non soutenu par des structures collectives.

Les causes des difficultés de personnalisation en éducation sont multiples :

  • structures trop rigides héritées d’un modèle industriel;
  • centralisation et bureaucratisation limitant l’autonomie;
  • sous-financement chronique et compressions;
  • intégration sans différenciation;
  • épuisement du corps enseignant et dévalorisation sociale.

L’enjeu pour l’avenir est clair : il ne s’agit pas seulement d’ajouter des technologies à un système existant, mais de repenser l’organisation scolaire pour que la personnalisation et la pédagogie active trouvent enfin un terrain favorable.

La foi pédagogique

On a cru que le simple discours sur la pédagogie active, relayé par les centres de formation des maîtres, suffirait à transformer les pratiques. Mais sans moyens organisationnels, sans soutien pédagogique et technologique adéquat, les enseignants se sont retrouvés seuls face à une mission impossible : concilier les idéaux de personnalisation avec les contraintes d’une école de masse.

Des velléités… et une mission impossible

Les innovations se sont succédé par à-coups : réformes curriculaires, plans de rattrapage (DEL pour les langues, plans de micro-informatique, réformes par compétences, etc.). Mais ces efforts manquaient de continuité et de cohérence.


Beaucoup d’enseignants ont dû compenser par leur bénévolat, leur créativité et leur surengagement. Beaucoup en gardent le sentiment d’avoir été instrumentalisés, sommés de réaliser seuls ce que les structures ne permettaient pas.

L’université et la technocratie éducative

Le milieu universitaire s’est souvent passionné pour des modèles pédagogiques ou technologiques : béhaviorisme, maîtrise des objectifs, mastery learning, imputabilité, puis aujourd’hui, intelligence artificielle éducative et learning analytics. Mais ces modèles, parfois imposés de haut, se sont heurtés à une résistance du terrain, attaché à préserver l’aspect humain et relationnel de l’éducation. De plus, nous sommes passés à l’interactivité et à l’immersivité.

Cognitivisme et étouffement

Le développement de l’IA et des neurosciences cognitives permet aujourd’hui de mieux comprendre les processus d’apprentissage. Pourtant, le système scolaire reste largement collectivisé, formalisé, standardisé.

Les élèves, de plus en plus conscients de leur autonomie et de leur individualité, ressentent ce cadre comme étouffant. Cela explique en partie la démotivation, le décrochage et le désengagement scolaire.

Discipline, performance et qualité

Sous la pression de l’opinion publique, le discours éducatif oscille entre deux pôles :

  • d’un côté, le retour au moralisme scolaire (discipline, effort, rendement académique, excellence);
  • de l’autre, la recherche de plaisir d’apprendre, créativité et sens, souvent reléguée au second plan.

Ces tensions traversent encore aujourd’hui les débats publics sur la réussite, l’évaluation, le rôle des devoirs, et désormais, sur l’usage de l’IA à l’école.

Des mesures radicales

Si l’on veut éviter que le malaise scolaire ne se transforme en crise plus grave (éclatement, ségrégation, décrochage massif), il est urgent de prendre des mesures audacieuses :

  • offrir aux élèves de véritables défis stimulants, connectés à la réalité;
  • adapter l’enseignement aux élèves, et non l’inverse;
  • mettre à profit les outils numériques et l’IA, non pas pour renforcer l’uniformisation, mais pour ouvrir des chemins personnalisés
  • réaffirmer que l’éducation est d’abord une relation humaine enrichie par la technologie, et non une machine à produire des résultats

Besoins liés à la société de la connaissance

Nous vivons dans une économie où le savoir et l’innovation sont devenus la principale richesse.
Cela appelle une transformation des finalités éducatives :

  • apprendre à apprendre par soi-même, développer l’auto-discipline et la curiosité;
  • valoriser la créativité et la pensée critique autant que l’acquisition de connaissances;
  • dépasser la simple logique des tests standardisés pour cultiver l’intelligence adaptative.

Comme le disait déjà Claude Lessard dans les années 1980, « la capacité d’apprendre par soi-même, la joie d’apprendre et l’autonomie intellectuelle deviennent essentielles ».

Compétences, productivité et recyclage

La transformation rapide du monde du travail entraîne :

  • l’obsolescence accélérée de nombreuses compétences;
  • la nécessité de formations modulaires et flexibles;
  • une exigence accrue en matière de compétences transversales : communication, résolution de problèmes, collaboration, créativité.

L’école doit donc préparer les jeunes non pas à un seul métier, mais à une capacité d’adaptation continue. Le perfectionnement et le recyclage ne sont plus l’exception : ils deviennent la norme.

Les changements technologiques et l’IA

L’accélération technologique, en particulier l’essor de l’intelligence artificielle, transforme profondément la demande éducative :

  • certaines tâches intellectuelles routinières seront prises en charge par des machines intelligentes;
  • les compétences valorisées seront celles qui distinguent le plus l’humain : empathie, jugement critique, pensée éthique, créativité;
  • de nouvelles littératies deviennent essentielles : littératie numérique, littératie de l’IA, culture des données.

Cela suppose que l’école n’enseigne pas seulement des savoirs figés, mais développe une capacité de discernement dans un monde saturé d’informations.

L’illettrisme numérique et les compétences de base

La révolution numérique révèle et amplifie de nouvelles formes d’illettrisme : incapacité à lire et écrire efficacement dans des environnements numériques, difficulté à comprendre des interfaces, à produire des contenus clairs et organisés.


Les compétences de base (lire, écrire, compter, raisonner scientifiquement) demeurent plus que jamais nécessaires, mais elles doivent être réinventées dans le contexte numérique : lecture-écriture numérique, raisonnement algorithmique, culture des données.

Le coût de l’ignorance

Ne pas investir dans l’éducation revient aujourd’hui à hypothéquer l’avenir collectif. Comme l’affirmait déjà un rapport américain :
« L’éducation ne devrait plus être considérée comme un coût d’opération, mais comme un investissement dans l’avenir de la nation. »

L’ignorance coûte désormais beaucoup plus cher que le savoir, car elle se traduit en chômage, en inégalités, en désengagement social et en perte de compétitivité.

En résumé

Les nouveaux besoins éducatifs se situent à l’intersection de trois grandes priorités :

  1. Inclusion et pluralité : accueillir la diversité et personnaliser les parcours.
  2. Compétences pour l’avenir : développer la créativité, la pensée critique, la collaboration et l’apprentissage tout au long de la vie.
  3. Littératies du XXI siècle : numérique, intelligence artificielle, culture des données, écologie, éthique.

L’éducation doit être repensée comme un écosystème vivant, capable de s’adapter en continu aux mutations du monde et de donner aux citoyens non seulement des savoirs, mais surtout la capacité d’apprendre, de s’adapter et de contribuer dans une société en transformation permanente.

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