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Pour les jeunes issus de milieux défavorisés, le soutien social a ses limites

Alors que les liens sociaux sont reconnus comme un pilier du bien-être, les jeunes adultes issus de milieux défavorisés doivent souvent composer avec des relations à la fois soutenantes et stressantes. Dans cet article de La Conversation, découvrez comment Jiseul Sophia Ahn et son équipe de l’Université de Montréal analysent, à travers une étude menée sur quatre ans, les effets du stress social, des dynamiques familiales et amoureuses et des difficultés économiques sur le bien-être des jeunes en transition vers l’âge adulte.
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The Conversation

par Jiseul Sophia Ahn, Université de Montréal; Elizabeth Olivier, Université de Montréal; Marina Borisova, Université du Québec à Montréal (UQAM), et Véronique Dupéré, Université de Montréal

Passer du temps avec ses proches devrait rendre heureux. Mais pour beaucoup de jeunes adultes issus de milieux défavorisés, les relations familiales, amicales ou amoureuses peuvent être à double tranchant : autant de soutien que de stress, et parfois plus de pression que de réconfort.

Des décennies de recherches sur le bonheur montrent une chose claire : le secret d’une vie longue et heureuse tient à la qualité de nos liens sociaux. Passer du temps de qualité avec des proches apporte joie et légèreté. Face aux aléas de la vie, ces relations constituent une source de soutien, de force et de réconfort.

Pourtant, certaines relations peuvent peser et devenir une obligation, voire une source de stress et de frustration. Le soutien social, qu’il soit psychologique (empathie) ou concret (aide financière), peut améliorer notre santé et notre bien-être. À l’inverse, le stress social, soit la charge psychologique ressentie quand on se sent dépassé par les demandes d’un proche, peut peser sur le bien-être, car nous sommes particulièrement sensibles aux expériences négatives.

Le stress social est particulièrement présent chez les jeunes adultes : un parent critique, un ami envahissant ou un partenaire jaloux peut provoquer des tensions quasi quotidiennes. Ces jeunes doivent progressivement apprendre à devenir eux-mêmes sources de soutien, tout en naviguant des transitions multiples dans leurs études, leur travail et leur vie personnelle.

En tant que chercheuse postdoctorale, mes travaux portent sur cette transition et sur la manière dont les contextes sociaux et éducatifs peuvent faciliter ou entraver ce passage.

Une étude sur quatre ans

Pour mieux comprendre le rôle des relations sociales pendant cette transition vers l’âge adulte, nous avons mené une étude auprès de 384 jeunes adultes principalement issus de milieux défavorisés, recrutés alors qu’ils étaient encore au secondaire. Nous avons suivi leurs relations familiales, amicales et amoureuses sur quatre ans pour examiner comment ces liens influencent leur bien-être et leurs symptômes dépressifs.

Au début de la vingtaine, les participants ont été interrogés sur le soutien ou le stress que leurs relations leur apportaient, puis, quatre ans plus tard, ils ont également rapporté leur niveau d’épanouissement.

Notre étude a mis en évidence quatre constats principaux. Premièrement, chez ces jeunes issus de milieux défavorisés, les relations sociales stressantes sont répandues, bien davantage que chez les adultes en général. Plus de la moitié des participants de notre étude vivaient des relations familiales éprouvantes : un groupe disposait d’un soutien très limité, tandis qu’un autre vivait des relations à double tranchant – à la fois soutenantes et stressantes – avec leur famille et leur partenaire.

Deuxièmement, la qualité des relations familiales avait tendance à se reproduire dans les relations amoureuses, illustrant un effet cascade : ceux qui bénéficient de relations de haute qualité en développent davantage, tandis que les plus jeunes plus éprouvés sur le plan relationnel tendent à le rester.

Troisièmement, bénéficier de plus de sources de soutien social se traduit par un meilleur bien-être chez les jeunes dont les relations n’étaient pas empreintes de stress, confirmant un modèle additif (« plus de soutien = mieux-être »). Plus précisément, les jeunes entrant dans la vingtaine tout en étant dans une relation amoureuse soutenante présentaient moins de symptômes dépressifs et un plus grand épanouissement.

À l’inverse, pour le stress social, un modèle de seuil s’applique : lorsqu’un certain niveau de stress est atteint, un apport supplémentaire de soutien – ou de stress – exerce une influence minime sur le bien-être.

Quatrièmement, contrairement au modèle « tampon » qui aurait pu être anticipé, la présence d’un soutien de la part du partenaire romantique ne suffit pas à compenser les effets du stress relationnel d’autres sources. De plus, le soutien social ne semble pas constituer une protection efficace contre les épreuves de la vie telles que les problèmes financiers. En effet, lorsque ces défis surgissent, les avantages découlant de liens positifs ont tendance à s’estomper.

Accompagner les jeunes et agir contre la précarité

Ces résultats montrent que le stress social est très répandu chez les jeunes adultes, surtout lorsque leur milieu d’origine est moins favorisé. Ces jeunes font souvent face à des obstacles disproportionnés pour accéder à une source importante de bien-être : les relations de qualité. Même quand ces jeunes ont de « bonnes » relations, pour en profiter pleinement, il faut aussi pouvoir réduire l’impact des « mauvaises ».

Un accompagnement efficace repose sur deux volets : renforcer les réseaux de soutien tout en allégeant le poids des facteurs qui peuvent mettre à l’épreuve les relations, comme le stresse économique. Pour les jeunes vivant des relations difficiles à la maison, les acteurs communautaires en dehors du foyer familial (écoles, services publics) ont un rôle crucial à jouer. Ils peuvent leur offrir des expériences sociales enrichissantes et des occasions de développer de solides compétences interpersonnelles, qui constituent des ressources internes dont les jeunes ont besoin pour établir des relations saines à l’âge adulte.

Par exemple, certaines écoles, universités et organismes communautaires, comme Entraide jeunesse Québec ou l’UQAM avec son projet Étincelles, proposent des programmes qui visent à prévenir la violence dans les relations amoureuses et à favoriser des relations saines.

Grâce à des ateliers, des formations pour le personnel scolaire, des vidéos destinées aux adultes et à la participation de jeunes ambassadeurs, ces initiatives permettent aux adolescents de développer des compétences socioémotionnelles essentielles : communication, gestion des conflits et des ruptures amoureuses. Déployés à large échelle, ces programmes peuvent aider à construire un bassin des jeunes mieux équipés pour construire des relations saines pour eux-mêmes, et pour les autres. Multiplier ce genre d’initiatives est essentiel.

Les difficultés financières, source de stress

Au-delà des relations sociales, un autre enjeu mérite une attention particulière lors de la transition vers l’âge adulte : les difficultés économiques. Notre étude montre qu’elles nuisent au bien-être des jeunes, y compris chez ceux qui bénéficient globalement du soutien de leurs proches.

Dans un contexte du marché du travail instable et de coût de la vie en hausse vertigineuse, les crises de logement et les difficultés financières constituent une source majeure de stress pour les jeunes et peuvent, si elles ne sont pas bien gérées, les plonger dans la précarité. Ce risque est d’autant plus immédiat pour les jeunes qui entrent dans l’âge adulte sans filet familial ni atouts éducatifs facilitant cette transition.

Pour mieux accompagner les jeunes dans cette étape exigeante, il est temps que les familles, écoles, employeurs et services publics unissent leurs efforts afin d’améliorer les conditions de vie de tous les jeunes.

Jiseul Sophia Ahn, stagiaire au postdoctorat en orientation scolaire et professionnelle, Université de Montréal; Elizabeth Olivier, professeure, Université de Montréal; Marina Borisova, étudiante au doctorat, département de psychologie, Université du Québec à Montréal (UQAM), et Véronique Dupéré, Université de Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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