Par Amy Tran, enseignante en mathématiques (Collège Sainte-Anne) et chargée de cours en évaluation (Université de Montréal)
et Tristan Manzo, enseignant en mathématiques et en sciences et technologies (Collège Sainte-Anne) et étudiant-chercheur au 2ᵉ cycle en sciences de l’éducation (UQAM)
Où est la place de l’IA en éducation?
Quelle place devons-nous réellement accorder à l’intelligence artificielle (IA) dans nos pratiques pédagogiques? Pour démystifier cette question, revenons aux fondements.
Le triangle pédagogique de Houssaye (1988) relie enseignant, élève et savoir. Chacun de ses sommets interagit avec les deux autres, formant un équilibre essentiel à l’apprentissage.
Aujourd’hui, un nouvel acteur entre en scène : l’IA. Ce n’est pas un quatrième sommet — sinon, il faudrait parler d’un « carré pédagogique ». En raison de sa transversalité, il est plus juste de la concevoir comme un élément qui gravite autour des arêtes, influençant les interactions entre enseignant, élève et savoir, plutôt que comme une dimension à part entière.

En mathématiques et en sciences, disciplines souvent associées à la rigueur de l’exactitude, l’introduction de l’IA soulève de nombreuses questions : outil de soutien ou de paresse? Amplificateur pédagogique ou frein à l’agentivité? Dans tous les cas, le choix revient à l’enseignant : l’IA n’est qu’un outil. C’est son utilisation réfléchie qui détermine sa réelle valeur ajoutée dans les pratiques pédagogiques.
L’IA au service de l’enseignant : générer, différencier, enrichir
Il importe d’abord de nuancer l’apport de l’IA au sommet « savoir » du triangle pédagogique, en relation avec l’enseignant. L’utilisation de l’IA pour alimenter le savoir semble évidente : elle peut traiter plus d’informations, plus vite que quiconque. Mais si l’on revient au rôle du savoir dans le développement de la compétence, on réalise que l’IA peut être mise au service de l’enseignant autrement. En effet, il ne suffit pas de confier l’IA aux élèves sans réflexion : il est nécessaire de se demander si elle sert à remplacer une compétence ou à soutenir le développement de celle-ci.
L’IA offre des outils puissants pour présenter les connaissances sous de nouvelles formes. Par exemple, elle peut créer plusieurs versions d’un même problème en modulant la complexité — non pas seulement en changeant les nombres, mais en variant la nature du raisonnement ou la forme de présentation.
REQUÊTE:
Concept clé : Proportionnalité (rapport, règle de trois, échelle).
Génère 5 exercices différenciés sur la proportionnalité selon les niveaux de complexité suivants :
Niveau 1 — Application directe : Utiliser un rapport ou une règle de trois simple pour trouver une valeur manquante.
Niveau 2 — Contexte concret : Résoudre un problème dans un contexte de la vie courante (recette, carte, vitesse, etc.).
Niveau 3 — Représentation multiple : Utiliser une table de proportionnalité ou un graphique pour résoudre le problème.
Niveau 4 — Choix et justification : Comparer deux situations et déterminer si elles sont proportionnelles, avec justification.
Niveau 5 — Problématique ouverte : Créer ou analyser une situation non proportionnelle et expliquer pourquoi elle ne l’est pas.
Pour chaque exercice, fournis :
L’énoncé complet (1 à 2 phrases max).
Le niveau de complexité.
Une brève intention pédagogique (ce que l’élève apprend ou mobilise).
La solution détaillée et expliquée.
Utilise des contextes adaptés à des jeunes de 12-13 ans (ex. : sport, recettes, bricolage, jeux vidéo, environnement).
➕ Ne te limite pas à changer seulement les nombres; varie la nature du raisonnement et la forme de présentation.
Il est aussi désormais possible de réaliser en classe des simulations qui étaient autrefois chronophages ou impossibles faute de matériel ou d’espace. Par exemple, on peut visualiser en quelques secondes la réaction de l’intensité du courant dans un circuit à la suite d’un changement de résistance ou de tension.
REQUÊTE:
Tu es un enseignant de sciences et technologie (ST) en quatrième secondaire au Québec. Tu dois générer des SIMULATIONS INTERACTIVES pour des élèves qui doivent développer la compétence 2 du programme de ST : Mettre à profit ses connaissances scientifiques et technologiques.
Voici les quatre composantes de la compétence 2 :
- Situer une problématique scientifique ou technologique dans son contexte
- Identifier des aspects du contexte (social,environnemental, historique, etc.)
- Établir des liens entre ces divers aspects
- Dégager, s’il y a lieu, des enjeux éthiques liés à la problématique
- Anticiper des retombées à long terme
- Comprendre des principes scientifiques liés à la problématique
- Reconnaître des principes scientifiques
- Décrire ces principes de manière qualitative ou quantitative
- Mettre en relation ces principes en s’appuyant sur des concepts, des lois ou des modèles
- Comprendre des principes technologiques liés à la problématique
- Cerner la fonction globale d’un objet, d’un système, d’un produit ou d’un procédé
- En identifier les diverses composantes et déterminer leurs fonctions respectives
- En décrire des principes de fonctionnement et de construction
- Mettre en relation ces principes en s’appuyant sur des concepts, des lois ou des modèles
- Représenter schématiquement des principes de fonctionnement et de construction
- Construire son opinion sur la problématique à l’étude
- Chercher diverses ressources et considérer différents points de vue
- Déterminer les éléments qui peuvent aider à construire son opinion
- Justifier son opinion en s’appuyant sur les éléments considérés
- Nuancer son opinion en prenant en considération celle des autres
Voici les connaissances que les élèves ont développé préalablement en classe. Tu dois assumer qu’ils maîtrisent ces connaissances afin de créer des simulations interactives pour développer leur compétence 2 en ST.
Connaissances en électricité :
- Loi d’Ohm
- Décrire qualitativement la relation entre la tension, la valeur de la résistance et l’intensité du courant dans un circuit électrique
- Appliquer la relation mathématique entre la tension, la résistance et l’intensité du courant dans un circuit électrique (U = RI)
- Circuits électriques
- Décrire la fonction de divers éléments d’un circuit électrique (ex. : les fils transmettent le mouvement des électrons tout au long du circuit; les résistors transforment l’énergie électrique en une autre forme d’énergie)
- Décrire les deux types de branchements dans des circuits électriques (série, parallèle)
- Distinguer le courant alternatif du courant continu
- Représenter un circuit électrique simple à l’aide d’un schéma
- Relation entre puissance et énergie électrique
- Appliquer la relation mathématique entre la puissance, la tension et l’intensité du courant dans un circuit électrique (P = UI)
- Décrire qualitativement la relation entre la puissance d’un appareil électrique, l’énergie électrique consommée et le temps d’utilisation
- Appliquer la relation mathématique entre l’énergie électrique consommée, la puissance d’un appareil électrique et le temps d’utilisation (E = PΔt)
RÉPONSE DE l’IA :

L’IA générative peut aussi soutenir la planification pédagogique. Elle ne se limite pas à exécuter une consigne : elle peut aider à concevoir des situations d’apprentissage cohérentes, enrichir leur authenticité, favoriser la collaboration et la réflexion critique, et assurer leur alignement pédagogique.

Qu’il s’agisse de générer des exercices différenciés, de concevoir des simulations en physique, d’élaborer des instruments d’évaluation ou de valider des productions, l’enseignant n’est plus seul devant sa page blanche. L’IA devient un assistant pédagogique fidèle, capable de proposer des idées, des variantes et des pistes d’amélioration.
Cependant, elle ne remplace pas le jugement professionnel. Si elle peut alléger la charge de travail, il faut résister à la tentation de déléguer la création entière d’une tâche. Générer cinquante exercices est utile ; choisir celui qui déclenche la discussion et la réflexion demeure un acte profondément humain. L’IA ne connaît ni le climat de classe, ni l’humour des élèves; elle soutient le pédagogue sans le remplacer.
L’IA comme compagnon d’apprentissage pour l’élève
Du côté de l’élève, l’IA dépasse désormais le rôle de correcteur ou de répétiteur. Elle peut être envisagée comme un véritable compagnon d’étude.
Grâce aux plateformes adaptatives, les élèves bénéficient de rétroactions immédiates et personnalisées. En téléversant une production, l’IA peut analyser leurs besoins, les jumeler à des pairs aux compétences complémentaires et les guider dans une démarche de coconstruction du savoir.
Lorsqu’elle est bien encadrée par l’enseignant — par exemple à travers des robots conversationnels pédagogiques —, l’IA peut aider à renforcer les savoirs vus en classe. Avec des instructions précises pour ne pas fournir la solution, elle peut offrir des indices ou poser des questions réflexives.
Exemple : après une erreur dans un quiz sur les circuits électriques, le chatbot ne donne pas la réponse, mais demande :
« Que se passe-t-il avec l’intensité si tu doubles la résistance? Essaie de recalculer. »
Grâce à certains outils, les élèves peuvent aussi générer fiches synthèse et quiz personnalisés à partir des ressources de leur enseignant, facilitant la révision et la compréhension.

Mais attention : l’IA ne doit pas devenir un raccourci pour éviter de réfléchir. Elle doit plutôt amener l’élève à examiner ses conceptions erronées, à revoir sa démarche et à cultiver son autonomie intellectuelle. En d’autres termes, elle doit servir à penser, pas à remplacer la pensée.
L’IA dans la relation enseignant-élève : accompagner et humaniser
Selon le Conseil supérieur de l’éducation et la Commission de l’éthique en science et en technologie (2023), l’IA doit être utilisée de manière à renforcer la relation humaine et le développement autonome des élèves, plutôt que de remplacer l’accompagnement et la bienveillance de l’enseignant.
D’une part, une partie importante du développement de l’élève repose sur la qualité de sa relation avec son enseignant. D’autre part, selon Hattie (2008), la rétroaction est l’un des facteurs les plus puissants pour améliorer l’apprentissage. Pourtant, maintenir un suivi individualisé et des échanges significatifs avec tous les élèves reste une tâche complexe, notamment dans des classes hétérogènes. L’intelligence artificielle peut transformer cette réalité, non pas en multipliant la rétroaction, mais en améliorant sa qualité. Elle permet de fournir un suivi et des retours plus précis, rapides et personnalisés, même lorsque l’enseignant ne peut pas accompagner chaque élève en continu.

Une autre utilisation pertinente de l’intelligence artificielle pour soutenir l’accompagnement de l’enseignant auprès des élèves concerne la tenue d’un journal de bord d’apprentissage. En documentant leurs défis, leurs démarches et leurs progrès, les élèves produisent une trace précieuse de leur apprentissage. L’IA peut alors agir comme un assistant de synthèse, capable d’analyser ces données, d’en dégager les tendances et de mettre en lumière les éléments significatifs pour le jugement professionnel de l’enseignant. Ce dernier obtient ainsi une vue d’ensemble claire et rapide de l’évolution de chaque élève, de sa réflexion métacognitive et de sa progression, tout en gagnant un temps considérable pour se concentrer sur les interventions à valeur ajoutée.


Ces exemples illustrent comment utiliser l’outil pour renforcer le lien entre l’enseignant et l’élève.
Conclusion
Intégrer l’IA en mathématiques et en sciences consiste à enrichir les pratiques pédagogiques et soutenir l’apprentissage actif. L’IA est un partenaire d’étude, un générateur de ressources et un amplificateur de réflexion, mais les choix pédagogiques, les discussions en classe et l’accompagnement demeurent profondément humains. Combinée à l’expertise des enseignants, elle permet d’explorer, d’expérimenter et de comprendre le monde scientifique de manière plus riche, autonome et créative.





