Notre collaborateur Marc-André Girard effectue une expédition pédagogique en Finlande et la documente ici.
Quand j’ai annoncé que j’allais en Finlande visiter des écoles et rencontrer des chercheurs en éducation, des réactions aux antipodes se sont manifestées : il y a ceux qui m’enviaient et qui s’intéressent au « miracle Finlandais » et ceux qui trouvent ridicule de chercher à s’inspirer d’un modèle sur son déclin.
En 2006, contre toute attente, la Finlande s’est hissée au sommet du palmarès mondial de l’Éducation. Plutôt que de prendre les moyens habituels pour y demeurer, par exemple imposer une gestion du système axée sur les résultats, elle a choisi de raffermir son approche centrée sur l’élève : « la Finlande a comme particularité d’avoir peu appliqué les principes mondiaux de réforme scolaire. Elle ne prévoit ni épreuves standardisées [pour tous les élèves] ni inspection des établissements ». (Aedo, Alasuutari et Välijärvi, 2017). En conséquence, elle a périclité, mais, depuis 15 ans, elle demeure néanmoins dans le palmarès des meilleurs systèmes d’éducation.
Certains blâment l’approche constructiviste pour ce déclin, la même approche qui a propulsé ce système à la tête des palmarès. En effet, le constructivisme finlandais en éducation n’est certainement pas l’approche la plus efficace, mais elle fait partie du tissu scolaire depuis le début des années 1990 (Rantala, 2012). D’ailleurs, le terme constructivisme est large et employé à toutes les sauces, mais lorsqu’il est question de l’éducation finlandaise, il est question de deux termes-clés regroupés sous l’approche constructiviste : la collaboration et le réalisme. Selon le professeur Tapio Puolimatka de l’Université de Jyväskylä, « la conception de l’apprentissage en Finlande est mixte, à savoir qu’elle est un processus à la fois individuel et collectif, basé sur l’activité de l’élève mais aussi celles de son environnement d’apprentissage » (traduction libre) (Puolimatka, 2002, p. 91-92). Suite aux premières conclusions tirées par les élèves, il y a confrontation entre les conclusions individuelles et collectives pour, par la suite, entamer une négociation de sens permettant de transformer le tout, grâce à la guidance de l’enseignant, en apprentissage. Le rôle de l’enseignant en est essentiellement un de facilitation axé sur la connaissance de ses élèves et sa capacité à implanter des approches d’enseignement universelles et différenciées.
Sur place, lorsque j’ai discuté du déclin de la Finlande au palmarès mondial de l’éducation avec plusieurs interlocuteurs, personne n’a semblé ému par cette situation. Pour eux, le but n’est pas de figurer à la tête du palmarès. Plutôt, c’est de faire en sorte que les élèves soient à l’école comme ils sont à la maison : heureux, confortables et bien décontractés comme le veut, à titre anecdotique, la tradition de déambuler à l’école en pantoufle ou en « pied de bas ». L’importance du « vivre-ensemble » transpire dans chacune des école visitées. Le niveau de stress nous a paru minimal, et ce, même si nos interlocuteurs enseignants se disaient stressés vu la fin de l’étape et la remise des notes, correction oblige. Ce n’est pas pour rien que la Finlande est, une fois de plus, désignée comme étant le pays le plus heureux au monde. L’article suivant met en exergue l’équilibre entre la performance académique des élèves et leur bien être à l’école.
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J’échangeais à ce sujet avec Pasi Sahlberg, professeur à l’Université de la Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, en Australie. Il m’expliquait qu’il n’est pas nécessaire d’aller en Amérique du Nord pour entendre les critiques du modèle finlandais en éducation. Au sein même du réseau universitaire du pays, des voix s’élèvent pour dire que la pédagogie constructive explique le déclin de la Finlande. Or, d’autres éléments expliqueraient ce déclin, éléments qui varient en fonction des personnes questionnées et leur posture épistémologique. Selon des enseignants rencontrés, le nombre d’élèves en classe nuirait à la qualité du lien et à la capacité de l’enseignant de bien accompagner chacun des élèves placés sous sa responsabilité. Aussi, le professeur Sahlberg mentionne que les habitudes de vie des élèves ont changé drastiquement depuis 2010 avec l’avènement des jeux vidéo et des médias sociaux. Il mène actuellement des recherches en ce sens et, bien que les conclusions ne soient toujours pas connues, il pense y trouver quelques éléments de réponse.
Toutefois, nous vivons à une époque de polarisation et, en conséquence, il semble que tous les débats sociaux doivent prendre une forme manichéenne : ceci est bien et tout le reste est mal. Il me semble qu’il y a tellement de facteurs et de nuances en éducation, surtout par les temps qui courent, qu’il est plutôt hasardeux de dresser des comparatifs dans un sens comme dans un autre, ce qui inclut les classements comme celui du Programme for International Student Assessment (PISA). Cela écrit, il n’en demeure pas moins que le système finlandais ne fonctionne pas uniquement sur une base constructiviste. Les enseignants démontrent, modèlent, expliquent, résolvent des problèmes et emploient des approches directives également. L’inspiration du système en entier est résolument constructiviste, mais les approches varient en fonction des besoins des élèves et des thèmes à enseigner.
Enfin, plusieurs systèmes occidentaux mettent l’accent sur l’importance de la standardisation et l’uniformisation, sur les connaissances et les compétences disciplinaires et sur un principe de responsabilisation de chacun face aux résultats des élèves. En Finlande, c’est différent. Selon Puolimatka, on y met plutôt l’accent sur la flexibilité et la diversité (aussi appelées « small data »), sur les connaissances générales, sur les compétences transversales et, enfin, sur la confiance envers les enseignants, grâce à un système de suivi réalisé par les directions d’école. Évidemment, chacun des professionnels à pied d’oeuvre auprès des élèves est, de facto, responsable des résultats des élèves, mais ils ne sont pas « tenus responsables ». S’il y a des similitudes, il y a néanmoins une différence majeure : en Finlande, les résultats obtenus par les élèves servent de base à une discussion de nature réflexive sur les approches pédagogiques déployées et l’aide à apporter aux élèves en difficulté, ce qui diffère d’un système, comme aux États-Unis, où des écoles jugées peu performantes peuvent être fermées.
Il est aussi important de souligner, en conclusion, que les enseignants, la direction, les décideurs et le réseau scolaire en général sont très près du milieu de la recherche en éducation. Les chercheurs jouent un rôle prépondérant dans la mise en place des approches pédagogiques, mais aussi dans l’établissement des orientations générales du système. Les facultés d’éducation sont très influentes et, en Finlande comme dans plusieurs autres pays, la recherche en éducation a une tradition de rigueur, d’excellence, et elle produit des connaissances théoriques et professionnelles à un rythme impressionnant, peut-être parce que les enseignants détiennent une maîtrise et qu’ils ont un profil d’enseignant-chercheur ?
Aedo, C., Alasuutari, H. et Välijärvi, J. (2017). Éducation : le miracle finlandais ? Repéré à https://blogs.worldbank.org/fr/voices/education-le-miracle-finlandais.
Puolimatka, T. (2002). Opetuksen teoria: Konstruktivismista realismiin. Tammi.
Rantala, J. (2012). How Finnish adolescents understand history: Disciplinary thinking in history and its assessment among 16-year-old Finns. Education Sciences, 2(4), 193-207.
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