par Myra Auvergnat-Ringuette, enseignante au primaire
Externat St-Jean-Berchmans
Il y a de ces rencontres qui vous laissent indifférents, et d’autres qui vous changent à jamais. Selon moi, la vie va bien trop vite pour qu’on attende que le changement vienne cogner à notre porte. Il faut provoquer ces moments, les inciter à venir nous murmurer à l’oreille que nous pouvons voir plus loin, voir autrement.
C’est ce que j’ai fait en décembre dernier. J’ai eu la chance de passer une journée au pavillon Au Millénaire situé à La Baie en compagnie de gens passionnés, enseignants comme élèves. Ces rencontres m’auront assurément inspirée à faire autrement dans ma classe.
Je vous invite dans ma tête (merci d’essuyer vos pieds avant d’entrer!) afin de constater les répercussions que peuvent avoir un rêve un peu fou…
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Son de cloche au lendemain de ma visite au pavillon Au Millénaire…
Les enfants entrent au compte goutte dans ma classe, me souriant, cherchant leurs amis des yeux. Ils échangent leur livre de lecture pour ce soir et vont s’installer pour la période des 5 au quotidien. Postée dans mon cadre de porte, je salue ma collègue au fond du corridor.
– Tu as vu le lien que je t’ai envoyé hier soir?, me demande-t-elle.
– Oui, c’est parfait. On pourra s’en servir dans nos ateliers. Ta fin de semaine? Les gars étaient en tournoi?
Elle lève les yeux au ciel, mais je vois son petit sourire en coin. Sait-elle seulement à quel point j’admire son courage et sa force de caractère? Je pense que je ne lui dis pas assez souvent.
Petit high-five aux deux élèves qui viennent d’arriver en ne courant presque pas dans le corridor, puis je me surprends à regarder ma classe. Pas regarder : observer, analyser…
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Flashback
Traverser le Parc avec Catherine Lapointe et Stéphanie Dionne, c’est l’équivalent de te verser un silex de café direct dans la bouche pour ensuite t’allonger sur le canapé de Freud et jaser de jardinage. Ça part dans tous les sens, mais il y a définitivement un fil conducteur : la passion. Vous savez, ce petit je-ne-sais-quoi que l’on peut lire dans les yeux de certaines personnes et qui donne le goût de les suivre au bout du monde. Imaginez en plus que notre objectif soit la visite d’une école innovante à La Baie. Nos âmes de pédagogues se régalent du paysage et des rencontres qui nous attendent au bout de la route…
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En classe…
Je vais m’asseoir près du petit groupe qui fait de l’écriture libre. Depuis quelques jours, la nouvelle tendance est aux chansons. On aura peut-être droit à une performance improvisée avant le dîner. Dans un coin, deux filles lisent une histoire en alternance. Je vous parie un café que vous ne pourriez pas deviner qui est en difficulté et qui je soupçonne de douance. Je dois intervenir auprès de quelques élèves qui ont décidé de se lancer dans un concours de tables avec l’énergie d’un joueur de tennis à Wimbledon. Le set sera serré.
Je me souviens des sourires de leurs élèves, de l’énergie qui se dégageait de chaque pouce carré de cette institution. Pourtant, c’est la sérénité des lieux qui nous interpelle quand on entre dans le Pavillon Au Millénaire.
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Flashback
L’accueil chaleureux de la secrétaire et de la directrice jette les bases de cette journée qui s’entame autour d’un bon café. Comme si on retrouvait des amies de longue date. On s’asseoit dans le bureau de Marie-Josée Villeneuve qui nous propose d’écouter l’histoire de l’école. Une histoire qui démarre avec un rêve qui s’est concrétisé à une vitesse fulgurante. D’une équipe rassemblée autour d’un même objectif : faire de l’école un milieu vivant et innovant.
Et c’est certain que ça dérange quand on décide de bousculer les vieilles habitudes, les règles bien établies, mais il faut se rappeler pour qui ont été prises ces décisions : les jeunes. Ce qui nous intéresse est humain, pas monétaire. Nous entamons donc notre visite avec une petite idée de la complexité des dossiers à gérer lorsqu’on dirige deux écoles aux mentalités plutôt distinctes. Nul besoin de rappeler que demander laquelle on préfère serait l’équivalent de choisir son enfant préféré. Parfois, c’est une question d’affinités, mais les deux ont définitivement de quoi faire évoluer l’autre. Bien qu’ils puissent être différents sous plusieurs angles, l’un et l’autre importe et fait évoluer.
On aurait certainement pu continuer à discuter avec la charmante directrice, mais pour être honnête, nous avions des papillons dans le ventre à la simple idée de nous aventurer dans cette école. Nous débutons par le modeste gymnase où est également annexée la bibliothèque de style Poudlard. Catherine ne peut résister au toboggan qui fait figure de sortie dans ce petit cocon littéraire. Une glissade plus tard, nous longeons le magasin général pour atterrir au paradis.
(Mon opinion est complètement biaisée pour cette prochaine partie, vous m’en voyez navrée.)
Une cuisine dans une école? Non, LA cuisine. Sauf qu’un beau local ne vaut rien sans LA technicienne en alimentation qui, un sourire accroché à son visage accueillant 24/7, reçoit les groupes chaque semaine pour vivre la cuisine; s’initier aux saines habitudes de vie dans un contexte concret, vivant et stimulant.
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En classe…
« Est-ce qu’on pourrait préparer une recette de biscuits santé pour clore le thème sur l’alimentation? » Non, les allergies…
Pour une fille qui aime autant la nourriture que moi (grande fan de dessert depuis 1984), c’est un coup dur de devoir mettre de côté une si belle opportunité d’apprentissage. Je me console; des façons d’impliquer les élèves dans leur démarche d’approfondissement de connaissances/compétences, il y en a plusieurs. Suffit de lever les yeux et de regarder ce qui se passe autour de nous. Vous savez, ce qu’on appelle « la vraie vie ».
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Flashback
Les enfants de maternelle rentraient de la récréation, les joues rougies par le vent de décembre. Une odeur de légumes salés flottait dans la cuisine.
Ils se sont attablés, impatients de goûter à la soupe qu’ils avaient préparée sous l’oeil attentif de leur enseignante, une autre passionnée qui arpente chaque jour les couloirs du pavillon Au Millénaire. « Attention, ça peut être chaud! » s’exclame un enfant. « Ça sent bon, ça sent un peu salé », renchérit son voisin. Pendant ce temps, Marie-Claude fait goûter des fèves d’edamame (fèves de madame, pour les intimes) aux petits curieux, c’est-à-dire tout le monde.
J’assiste, tout en me délectant de la concoction de ces enfants remplis de fierté bien méritée, à ce spectacle en me demandant ce qui vient le plus me bouleverser dans ce moment pourtant si simple. Je suis encore en train d’échafauder une réponse.
Puis, deux responsables se mettent en charge de préparer un chariot avec des verres de soupe à faire déguster aux membres du personnel. Était-ce la proposition de l’enseignante, une initiative des enfants? À voir la réaction des deux partis, j’aurais tendance à dire : peu importe. Les portes de classe s’ouvrent, l’une après l’autre, et chaque fois les enfants sont reçus de façon chaleureuse, parfois un brin humoristique, mais toujours bienveillante.
Je décide d’en profiter pour continuer mon petit tour d’horizon, croisant ici et là mes amis ayant pris part à ce périple éducatif, sillonnant les locaux avec leurs yeux pétillants de curiosité. Le soin qui a été donné à l’aspect esthétique de l’établissement est indéniable. Ma collègue Isabelle prend soin d’examiner chaque détail. Je sais qu’elle ne fait pas qu’observer la beauté des lieux, elle évalue également l’effet qu’un tel décor peut avoir sur les enfants.
Chaque classe revêt un thème différent, créant une harmonie particulière entre chaque niveau grâce à une pièce « tampon ». Cette dernière permet d’agrandir du double l’espace de chaque classe. Les élèves peuvent s’y rassembler pour travailler, chercher un peu de calme, collaborer avec leurs camarades, préparer un projet particulier avec le support d’un accompagnateur. Bref, les possibilités sont à la hauteur de leur créativité et de la confiance que leur accorde les enseignants. Vous aurez compris que l’aménagement suit ce que certains appellent une tendance : le flexible seating. Je préfère le voir comme l’évolution naturelle des choses. Les enfants n’ont pas de places assignées et à garder propre. Ils sont tous responsables des espaces qu’ils utilisent et éprouvent une fierté à ce que ceux-ci demeurent en bonne condition.
Une fois le choc passé, on observe les élèves. Dans une classe de 3e, ils sont en train de construire une liste de mots sur l’application PicCollage afin d’enrichir leur prochain projet d’écriture. Je joue les curieuses et leur demande comment ils trouvent ça, travailler avec des iPads. Question honnête, réponse honnête : on préfèrerait jouer à des jeux, mais c’est correct aussi quand le travail est amusant.
Je jette un coup d’oeil au local en annexe constitué d’une scène et de lumières suspendues, créant une ambiance particulièrement chaleureuse. Quelques élèves mettent en scène une pièce de théâtre en espagnol, guidés par leur animatrice. Quelle belle façon de découvrir une culture en se familiarisant avec une 3e langue. Je tente quelques mots en guise de salutations, merci à mes deux ans de cégep en langues, et je retourne jouer les investigatrices.
En traversant le couloir, je me retrouve dans les classes de 1er cycle. Le thème : de la nature à la ville. Encore une fois, les élèves travaillent en sous-groupes, effectuant diverses tâches précisées dans leur plan de travail, accessible en tout temps sur leur tablette. Une pointe d’inquiétude me traverse : ces enfants écrivent aussi sur du papier, n’est-ce pas? Bien entendu, me répond Karine, leur enseignante. Quel plaisir de découvrir qu’elle est aussi une mordue des ateliers d’écriture. Il suffit de balayer sa classe du regard pour découvrir l’importance que revêt la littérature et la créativité. Et que dire de son projet « Cuisiner avec classes ». Je pense que je me suis faite une nouvelle amie… « Soyons fans les uns des autres », nous invitait Audrey Miller, de l’École branchée, lors du plus récent colloque Clair, au Nouveau-Brunswick.
Je me dirige finalement vers les locaux du 3e cycle, où on peut retrouver la fameuse salle de sièges suspendus dans les nuages. Encore une fois, je suis ébahie par ce décor original, mais ce sont les élèves à quatre pattes sur le plancher de la classe qui captent mon attention. Je viens d’atterrir dans une séance d’introduction à la robotique. Je prends plaisir à observer mon collègue qui s’est fait recruté par une équipe de jeunes afin de leur donner un coup de main pour résoudre leur problème de programmation. L’aisance qu’ont ces enfants à entrer en communication avec autrui me fascine. En même temps, si je me fie à l’accueil qu’on nous a fait, ce n’est pas surprenant… ces enfant ont définitivement autour d’eux des modèles qui leur permettront de s’épanouir, de grandir en confiance et qui leur donneront peut-être même l’envie de faire les choses différemment, eux aussi.
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Aujourd’hui
Plusieurs mois ont passé depuis ma visite au pavillon Au Millénaire et j’avais peur que ma mémoire ne fasse défaut lorsque j’ai finalement commencé à écrire cet article. J’étais effrayée par l’idée de ne pas rendre justice à ce qui se fait là-bas, d’oublier des noms, des projets, des idées… Puis, j’ai réalisé que c’était impossible de rendre justice à ce milieu dans un simple texte. Il faut le vivre pour que ces gens laissent leur empreinte sur vous. Tout comme vous devez allez voir vos collègues enseigner, assister à des congrès qui vous déstabilisent et vous planter en essayant des nouveaux projets qui vous sortent de votre zone de confort.
Alors merci infiniment car, grâce à vous, j’ose un peu plus, j’espère un peu mieux et je vois définitivement plus grand.
Reportage de TVA sur la cuisine du Millénaire (vu sur Facebook