Par Marilou Ferlandt, médiatrice culturelle, artiste spécialiste en théâtre d’ombres corporelles et directrice des Éditions du Pissenlit, www.pissenlit.ca.
Qui n’a pas déjà rêvé de redonner un petit coup de motivation à des élèves démobilisés? Qui n’a pas déjà constaté qu’un élève enthousiaste était beaucoup plus engagé et intéressé en classe? C’est en faisant des recherches sur les bienfaits de l’art dramatique que je suis tombée sur un mémoire de maîtrise signé Virginie Rouxel.
Dans celui-ci, cette dernière découvre que les problématiques motivationnelles de ses élèves issus d’un milieu défavorisé socioéconomiquement sont fortement liées à leur estime de soi, leur sentiment d’appartenance et à leur désir de savoir. Elle découvre aussi que l’art dramatique est la matière toute désignée pour travailler ces trois éléments et ainsi stimuler la motivation des élèves.
Le mémoire dont s’inspire cet article contient beaucoup plus d’informations que le texte qui suit. Il s’intitule : « L’enseignement de l’art dramatique au primaire : une alternative aux problématiques motivationnelles des élèves en milieu défavorisé ».1 Sachez aussi que Virginie Rouxel est chargée de cours à l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du comité directeur du Groupe de recherche en enseignement du théâtre.
Une estime de soi positive germe dans un cadre sécuritaire
Commençons donc par établir les faits : bien que l’objectif principal du cours d’art dramatique soit « d’apprendre à créer, à interpréter et à apprécier des productions artistiques de façon à intégrer la dimension artistique dans sa vie quotidienne »2, on devine que cette matière est aussi un formidable véhicule pour activer les compétences transversales des élèves et générer des bienfaits individuels et collectifs! Et oui! Les spécialistes savent déjà depuis longtemps que l’art dramatique permet, entre autres, de forger une meilleure estime de soi chez les élèves. Mais comment ça fonctionne?
Virginie nous apprend que l’amour de soi, l’image de soi et la confiance en soi sont les trois composantes qui fondent l’estime de soi. En d’autres mots, l’image qu’on se fait de nous-même est créée, entre autres, par le reflet que le groupe nous renvoie. Si notre amour de soi est trop faible et que ce jugement est négatif, on aura tendance à avoir une mauvaise perception de soi. Au contraire, si notre estime personnelle est faible, mais le regard extérieur est très positif, on aura une image positive de nous, mais peut-être une tendance à avoir besoin en permanence d’avis positifs pour bien fonctionner. Virginie nous pose alors une question fort intéressante : Et si « l’art dramatique [agissait] à titre de médiateur entre ce que l’élève est ou perçoit de lui et ce qu’il peut devenir? »3
En art dramatique, c’est tout le corps et l’âme qui sont mis à profit. On pleure, on rit, on se déforme, on se transforme. On est une partie de nous-même et parfois quelqu’un d’autre complètement. L’enseignant devient notre miroir, il nous aide à progresser, à nous découvrir tel que l’on est et il nous apprend à regarder l’autre avec douceur, car… on est tous là pour progresser, n’est-ce pas?
Plus je gagne en valeur à mes yeux et aux yeux des autres, plus le travail et l’apprentissage en valent la peine. L’effort prend un nouveau sens.
Dans le cadre de son mémoire, Mme Rouxel a questionné 65 élèves âgés de six à dix ans. Il en est ressorti, en effet, que l’estime de soi était liée aux coéquipiers ou au public. Voici deux échanges qui en disent long sur le sujet :
Dialogue 1
- (I.) : Pourquoi tu penses que tu es bon en art dramatique?
- (R. 22) : Parce que mes amis m’encouragent (février 2013, gr. 11).4
Dialogue 2
- (R. 6): Ben moi, je savais pas qu’y allait avoir des élèves qui allaient me trouver bon. Moi, j’tais sûr qui allaient capoter sur d’autres gens (mai 2013, gr. 32-42).
- (I.): Pourquoi tu te trouves bon?
- (R. 11): Parce que j’ai réussi à faire rire le monde (mai 2013, gr. 31).5
Le sentiment d’appartenance sur la scène comme dans la vie
Créer ensemble, ça rapproche! C’est indéniable. On partage nos idées, on s’invente un petit monde ensemble, on se soutient en vue du spectacle et on finit par se faire confiance à force d’être ensemble dans l’adversité. Parce que la scène, c’est un peu comme la vie : on tente des trucs et on voit si ça répond. C’est bien plus facile en groupe! Tout le temps du processus de création, on « aura développé notre intelligence sociale, le sens critique et le sens des responsabilités. (…) on aura appris aux élèves “le plaisir du travail partagé” (Meirieu, M., 1996, p.30). » 6Et tout d’un coup, le miracle opère! Une fois la représentation passée, une nouvelle confiance s’instaure à l’intérieur du cercle social qui n’est pas celui de la famille.
Voici un autre exemple tiré de la recherche.
- (I.): Est-ce que tu as aimé présenter ta scène devant d’autres groupes?
- (Tous): Oui!
- (I.): Ok. Est-ce que tu peux me dire pourquoi?
- (G . A): Moi, parce que j’avais confiance en moi.
- (I.): Ok. Qu’est-ce qui t’a donné confiance en toi?
- (G. A): Je le savais que Mélanie et Maxime allaient le faire avec moi. Pis Mélanie et Maxime, je leur fais confiance, moi. 2013, gr. 31).
Cependant, pour arriver à cette confiance au sein du groupe, l’enseignant ou l’enseignante est très important. Il est primordial de faire comprendre aux élèves qu’ils sont tous responsables d’un climat harmonieux en classe et que la qualité d’enseignement dont ils bénéficient dépend du comportement qu’ils adopteront. Un travail préalable est nécessaire pour établir avec eux la conduite et les attitudes à privilégier.
Le désir de savoir passe par le bonheur de créer
Et puis, il se passe ce truc magique quand on participe à la création d’un spectacle… On a envie de recommencer! On a envie de retrouver ce sentiment magique qu’on ressent lorsqu’on est sur la scène! On a envie d’être meilleur… On se met à pratiquer son rôle dans la cour d’école et à se prendre au sérieux. On comprend enfin que plus on s’applique, plus on peut faire rire les spectateurs par exemple. On se force et on cherche alors la façon d’être un meilleur acteur. Les applaudissements, ça réchauffe le cœur 🙂 Et surtout, on s’amuse et on joue en apprenant.
(R. 15): En art dramatique, on apprend, pis c’est, c’est plus, c’est plus l’fun apprendre, que d’avoir plein de fautes (février 2013, gr. 12-22).
Se lancer dans l’enseignement de l’art dramatique
À la lecture de cet article, vous vous dites peut-être « Oui mais j’y connais rien! J’ai bien aimé faire de l’art dramatique plus jeune, mais je ne saurais pas comment l’enseigner! » Vous avez envie de vous y frotter, n’est-ce pas?
Bien sûr, permettre aux élèves de travailler avec un spécialiste en art dramatique, c’est la meilleure chose qui puisse leur arriver. Par contre, si, pour une raison ou une autre, vos élèves n’ont pas accès à un spécialiste présentement et que vous avez la possibilité d’ajouter un peu d’art dramatique à votre cursus, vous être encouragé à le faire!
Pourquoi ne pas tenter l’expérience pour travailler l’estime de soi, le sentiment d’appartenance et le désir de savoir de vos élèves? Et pourquoi ne pas apprendre à l’enseigner en même temps qu’ils découvrent cette matière? Prendre cette position d’apprenant est aussi très bénéfique pour renforcer votre rôle et montrer aux élèves que même adulte, il est possible de continuer à apprendre! Ça rassure les plus timides et ça démontre aux plus rigides qu’on peut se lâcher sans danger.
Des ressources pour débuter
Se lancer sans filet, c’est peut-être un peu complexe alors, voici quelques ressources pour commencer votre voyage en art dramatique. Ces références viennent des Éditions du Pissenlit, dont l’auteure est la directrice.
- 20 ateliers – les émotions – document comprenant 20 ateliers sous forme de jeux permettant de découvrir le monde des émotions avec vos élèves. Inclus : cartes catégories, castes émotions et affiches pour faciliter votre travail!
- 5 contes classiques – document où 5 contes sont écrits sous une forme de pièce de théâtre, faciles à lire ou à produire en spectacle. Modèles à bricoler pour les marionnettes et les masques. Adapté pour tous les niveaux au primaire.
- Émotions en classe de français – les explorer grâce à l’art dramatique – Article de blogue explorant des jeux à faire en classe pour expérimenter les émotions Faites ces jeux en début d’année pour engager vos élèves dans le processus d’apprentissage!
En conclusion, laissons parler les enfants!
Mais avant de les laisser parler, j’aimerais remercier Mme Rouxel pour son travail de maîtrise qui m’a permis, entre autres, de découvrir ces témoignages d’enfants tout à fait savoureux qui partagent leur vision de l’art dramatique à l’école. Ça confirme tout à fait l’esprit avec lequel j’aborde cette matière qui m’est si chère 🙂
N’oubliez pas d’aller jeter un œil à ce mémoire dans lequel vous trouverez des idées de situations d’apprentissages et d’évaluation à reproduire avec vos élèves et une réflexion étoffée sur la question de la motivation en milieu défavorisé qui ne peut être couverte dans un simple article.
Et maintenant, place aux enfants!
Dialogue 3
- (I.): Est-ce qu’il y a des choses spéciales en art dramatique, des choses qu’on fait juste dans cette classe-là?
- (R. 3): Jouer. C’est important de s’amuser (février 2013, gr. 32-42).
- (R. 14): Dans ma classe, on peut pas s’amuser, mais en art dramatique oui (février 2013, gr. 12-22).(I.) : Qu’est-ce que ça représente pour toi la période d’art dramatique?
- (R. 22 : Ça représente le plaisir (mai 2013, gr. 11).
- Rouxel, Virginie, L’enseignement de l’art dramatique au primaire : une alternative aux problématiques motivationnelles des élèves en milieu défavorisé, [Mémoire de maîtrise, École supérieure de théâtre], Montréal, UQAM, 2015, 343 pages, https://archipel.uqam.ca/7572/1/M14069.pdf ↩︎
- Ministère de l’Éducation du gouvernement du Québec , Programme de formation de l’école québécoise éducation primaire et préscolaire, Québec, 2006, p. 190, http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/formation_jeunes/prform2001.pdf PDA ↩︎
- Rouxel, ouvrage cité, p. 165. ↩︎
- Ibid., p.152. ↩︎
- Ibid., p.154. ↩︎
- Ibid., p.113. ↩︎