Par Karen Riley
Enseignante d’arts visuels et médiatiques et conseillère pédagogique au collège Bourget
Au Collège Bourget, à Rigaud, le numérique n’est pas qu’une simple liste d’outils à apprendre ; nous le voyons comme une compétence qui dépasse le simple savoir-faire technique. Depuis trois ans, nous avons amorcé une migration graduelle du modèle tablette 1 pour 1 vers le modèle ordinateur portable 1 pour 1 (un appareil par élève), une transition qui s’opère une année à la fois. Ce changement n’a pas été qu’une mise à jour technique : il nous a rappelé qu’on n’apprend pas la littératie numérique par « osmose ». Sans cadre, les écarts se creusent. Face à ce constat, notre solution a été d’implanter une progression interdisciplinaire par cycle, soutenue en classe par la modélisation et le suivi des compétences par les enseignants.
Genèse du projet et philosophie d’équipe
Inspirés par la formation de la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP) du 28 février 2022, lors de laquelle l’équipe du Séminaire Saint-François a partagé sa progression numérique, et par les travaux du Centre de services scolaire des Navigateurs, nous avons choisi de revoir notre approche de l’intégration du numérique à l’école. Pour amorcer cette réflexion, nous avons d’abord cherché à définir les compétences numériques que nous souhaitions voir se développer chez nos élèves.
En analysant ce profil et en confrontant nos attentes à la réalité du terrain, certains constats se sont imposés, notamment le fait que nous demandions depuis des années beaucoup aux élèves sur le plan numérique, sans leur offrir un cadre d’apprentissage réellement structuré.
Le « savoir-faire » interdisciplinaire
La première phase de notre progression, en 1ʳᵉ et 2ᵉ secondaire, établit une fondation technique solide, nécessaire à tous nos élèves. Nous partons du principe que le « savoir-faire » numérique est l’affaire de tous.
Nous avons choisi de ne plus jamais enseigner la littératie numérique de manière isolée ou décontextualisée : elle est toujours intégrée à une production authentique, au cœur même des apprentissages disciplinaires. Ce suivi interdisciplinaire crée une continuité rassurante pour les élèves. Nous avons observé que l’exposition répétée aux outils, dans des contextes variés, instaure des routines qui diminuent l’anxiété technologique.
Du « savoir-faire » au « savoir-être » numérique
Cette année, nous entamons la deuxième phase avec les élèves de 3ᵉ secondaire. Cette année est charnière : c’est celle du diagnostic, ce qui nous permet d’identifier les forces et les défis de chacun afin de passer du « savoir-faire » au « savoir-être » numérique. Les compétences continueront d’être modélisées par les enseignants, mais nous passerons de l’usage technique à un usage éthique et stratégique.
Concrètement, les élèves n’apprendront plus seulement comment partager un document (le savoir-faire), mais pourquoi et comment collaborer efficacement, gérer les versions et respecter le travail des autres (le savoir-être).
Défis, stratégies et prochaines étapes
L’implantation d’un tel projet comporte des défis. Le premier est de définir un langage commun et de clarifier ce qui revient à chaque niveau. La clé du succès réside dans le leadership partagé. C’est un véritable travail d’équipe, car les réalités et les attentes de la direction et des enseignants doivent converger au bénéfice des élèves.
Le principal défi demeure de faire une place à ces nouvelles notions dans les cursus déjà chargés des différentes matières. C’est pourquoi la formation et l’accompagnement des enseignants sont la véritable pierre angulaire du projet. Une prochaine phase visera à inclure les élèves de 4ᵉ et 5ᵉ secondaire, ainsi que ceux du primaire, afin d’assurer une continuité complète du parcours.
Les outils au service de la progression
Pour soutenir nos enseignants dans l’intégration des compétences numériques au sein de leurs matières, nous avons conçu un agent conversationnel à l’aide de Gemini, nommé « GEMS : compétences numériques ». Cet outil fonctionne comme un conseiller, enrichi à la fois par le cadre officiel de la progression numérique, les programmes du PFEQ et les données de nos propres tableurs de suivi. L’élément central pour le suivi des compétences reste notre tableur de progression partagé. Ce dernier agit comme un tableau de bord où l’équipe enseignante consigne chaque compétence modélisée en classe. Pour faciliter notre organisation, nous avons regroupé dans un cours Google Classroom l’agent conversationnel (GEMS), le tableur de suivi, ainsi que toutes les autres ressources.
Évaluation de l’impact
Enfin, pour évaluer l’impact de ce dispositif, nous avons réalisé en début d’année scolaire une analyse approfondie à l’aide de Notebook LM. Celle-ci consiste à comparer les données des tableurs complétés par les enseignants de 1ʳᵉ et 2ᵉ secondaire avec les résultats d’un sondage recueillant la perception des élèves de 3ᵉ secondaire concernant leur propre progression numérique.
Conclusion
La progression spiralée que nous avons adoptée agit comme un véritable filet de sécurité, mais ce filet ne tient que grâce à l’implication de nos enseignants. C’est leur travail d’équipe en amont et leur suivi constant qui nous permettent d’ancrer ces compétences au cœur des apprentissages, les rendant concrètes et pertinentes.
Grâce à cet effort collectif, nous voyons déjà des résultats. Les analyses préliminaires des compétences de nos élèves de 3ᵉ secondaire nous permettent de constater que, peu importe leur point de départ, ils cheminent vers une maîtrise réelle et durable du numérique.
Nous avons véritablement le sentiment que nos élèves, grâce à cette structure portée par toute l’équipe, deviendront des acteurs beaucoup plus éclairés de leur propre parcours numérique, capables de naviguer avec confiance et discernement dans un monde en constante transformation.





